Aujourd’hui c’est Patrick Coutin et son « J’aime regarder les filles » qui m’a accompagné sur le chemin de l’atelier. La raison est simple. L’été 1981, année où est sortie ce tube, j’étais en vacances chez une grande tante. Son fils, bien plus âgé que moi, et l’un de ses pôtes shapaient leurs premières planches respectives sous la véranda de leur maison au fond du Bassin d’ Arcachon. Moi du haut de mes 12 ans, je m’en foutais royal de leur truc qui faisait de la poussière et qui puait mais je restais là juste à écouter ce qu’ils écoutaient. Et ce fameux tube, je peux vous dire qu’il tournait en boucle… Bref mystère des souvenirs et beau temps aidant, c’est cette chanson qui me trottait dans la tête aujourd’hui.
Et Junior me direz vous ? Très simple. Souffrant d’une bonne sinusite, je me suis dit très justement que les bonnes odeurs de résines allaient décaper tout ça et remettre à neuf les conduits de mon fils. De toute façon, il faisait beau et on mourrait d’ennui dans la baraque.
J’arrive donc et vais d’emblé récupérer le pain de mousse. Il est à l’identique au jour de son déballage hormis quelques lignes et courbes tracées. Le tail dessiné est trop large et en fouillant dans les templates de Kamikaze nous trouvons l’arme idéale. Je ressers donc le tiers arrière mais le round tail, si il est correct, me satisfait pas trop, Kamikaze non plus. Je sens même l’œil critique du pigeon de la cour. Junior lui s’en fout, il dégomme des cannettes avec sa carabine gagnée à la fête foraine. Je m’inspire donc du tout dernier tiers d’un tail d’une Arakawa (ben tant qu’à faire) et là l’outline tracé me convient. Kamikaze dit « pas mal » ce qui doit être pris dans le langage des shapers comme un « ouais » et le pigeon lui semble apprécier, je le vois à sa manière de me regarder. Junior lui s’en fout toujours aussi profondément.
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Il est temps de découper l’outline. Kamikaze me propose une scie classique, une scie japonaise ou la scie sauteuse. Je me fais expliquer la scie japonaise : une scie qui ne scie pas lors de la traction mais lors de la poussée. Bon je laisse tomber, ce n’est pas trop le jour d’innover et remettre en question des années de bricolage. Je repense soudain à Patrick Coutin et à mon cousin. Qu’a-t-il fait l’été 81? Je doute qu’il avait à sa disposition la moindre machine. En son honneur, je prends donc la scie classique. Et j’y vais. Je commence par le tail. Le matériau est tendre et l’appui sur la scie quasi inexistant. Il suffit de donner à la scie juste l’impulsion de départ, elle descend seule et c’est pratiquement avec un doigt (Chantal Lobby si tu me lis, dédicace) que l’on la remonte. C’est plaisant, agréable sauf le passage de la latte qui vient désagréablement briser cette douce sensation. Je m’attaque ensuite aux « rails » qui n’en sont pas encore. Oh mais pas à l’aveugle, non, non, non. Je fais attention à la perpendicularité de ma découpe par rapport à la surface plane de la carène (le dessous quoi). Donc grâce à une équerre placée sur la carène et sur la scie, je donne mes premiers coups de scie puis je me laisse guider par la mousse. En théorie cela fonctionne. En pratique c’est autre chose … Mais étant à 1cm de mon tracé d’outline je rectifies comme je peux grâce à un mélange de surform et de perfect.
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Le perfect ! Qu’est ce que c’est ? Même le pigeon de la coure de Kamikaze ne connaissait pas ce nom. Et bien c’est une équerre /calle à poncer. Ou si vous préférez, une équerre très large où à l’intérieur est collé du papier abrasif sur l’une des parties internes… En fait cet outil made in « Kamikaze » n’avait pas de nom. Vu le rendu, je l’ai tout de suite surnommé
« perfect ». Le maître des lieux à valider. Il suffit donc d’appliquer la partie non abrasive sur la carène et se servir de ce guide pour poncer les « rails ». Car si j’en croit le shaper (mais ais-je le choix ?), il faut avant de leur donner une forme voulue partir de rails droits !
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Bien tout ça est bien droit et d’équerre, direction la lumière du soleil et prendre du recul. Je pose délicatement le fœtus à la verticale. Trois, quatre mètres de recul et là vision d’horreur : il y’a un décalage, une asymétrie ! Vite une règle, y ’a 1 cm de plus à droite ! Mais comment que c’est possible ! Cela restera un mystère, le tracé ? La découpe ? Le ponçage ? Bon retour au stand de shape, je mesure, je retrouve le template dans le joyeux bordel que j’ai foutu dans la collection de Kamikaze, retraçage …
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Et là Kamikaze me propose la « défonceuse ». Heu comment te dire Kamikaze, je suis pas de ce genre là hein ! Tu vois je suis très heureux avec ma femme, j'ai deux gamins… Mais non idiot, me dit il, ça c’est une défonceuse : et là il brandit une sorte de perceuse qui n’en ai pas une ! Une sorte de fraiseuse miniature verticale. Il me montre le maniement de l’engin au nom qui aurait fait merveille comme titre d’un San Antonio et me voilà à suivre le nouveau tracé sur la moitié du rail (le foret, je sais pas si c’est le nom approprié, ne couvrant pas la largeur totale de la planche). Ensuite il ne reste qu’à aplanir le tout au surform. Puis de nouveau le « perfect ». Je ressors le fœtus ! Yes ! Y ’a un léger enfoncement sur le rail droit qui disparaîtra au décroutage et à la taille des rails me rassure Kim…
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Le pigeon s’envole, Junior à tirer toute les billes de sa carabine, j’ai la Princesse Junior à aller chercher. Je laisse bien malgré moi Kamikaze vaqué à son vrai travail et j’entend dans le vent sur le chemin du retour encore cette mélodie :
J'aime regarder les filles qui marchent sur la plage
Sur leur peau le soleil caresse bien trop sage
Le vent qui les décoiffe au goût de sel sur mes lèvres...