Il est indéniable que la plupart d’entre nous ont une énorme considération pour les shapers. D’autant plus que si à ses débuts un surfer ne sait pas trop où s’adresser pour choisir sa première planche, sa culture surfique et plus particulièrement celle du shape s’enrichissant au fil du temps et des rencontres, il s’adressera souvent pour sa deuxième planche vers un shaper. Dans le choix de cette première planche, celles de la marque Bic ont sans doute révolutionné le monde du surf. En effet, Bic a certainement permis une nouvelle façon d’appréhender la découverte de ce sport. Plus besoin de passer par des planches bien trop grandes ou trop courtes ou encore par des occasions mal adaptées aux débutants : Bic a su répondre avec succès à la problématique du surfer néophyte : des planches pas trop onéreuses et largement distribuées, des shapes adaptés et permissifs faits dans des matériaux costauds.
Comment est née cette aventure ? Fait elle de l’ombre aux artisans shapers que nous défendons tellement ? Doit on voir d’un mauvais œil cette production de série et l’assimiler à la vague de productions asiatiques ? Comme d’habitude c’est à la source que nous nous sommes adressés. Et pas des moindres puisque c’est le shaper français Gérard Dabbadie qui nous fait l’honneur de répondre à nos interrogations surfiques. Sa double casquette de shaper artisanal et de shaper pour la société Bic nous permettra sans doute de mieux comprendre cette révolution en cours.
Surfrepotes : Peut être pourrions nous commencer par votre présentation…
Bonjour, j’ai 52 ans, surfer depuis 1969, première planche shapée en 1973, environ 10 000 shapées depuis…. Plusieurs fois champion de France, champion d’Europe en 1975. J’ai longtemps shapé sous la marque SUPERFROG, en 1993 quand BIC s’est intéressé au surf (ils fabriquaient déjà des planches a voile depuis 1979), j’ai collaboré avec eux comme designer de leur premier surf, le 7’9 Natural Surf, qui a de suite connu un grand succès, cela nous a incité a prolonger l’aventure et maintenant nos planches sont vendues dans le monde entier. Depuis quelques années je suis aussi responsable commercial France pour le département surf de Bic Sport.
Srp: Comment le shaper artisan que vous êtes c’est il retrouvé impliqué dans un projet comme les planches Bic ?
Tout simplement en étant contacté par la société.
Srp: Vos connaissances en matière de shape artisanal ont-elles pues être facilement transposables à une production en série?
Bic avait déjà l’outil de production et les technologies de pointe pour la fabrication des planches a voile, tout cela n’a rien à voir avec la fabrication traditionnelle à la main. Ma contribution a plutôt été orientée vers la définition des besoins et la réalisation de modèles de planches qui sont ensuite fabriquées en série.
Srp: Quelles ont été les premières réactions de vos collègues shapers ?
Rien de spécialement négatif, Surf Session a bien publié un petit article ou ils parlaient de « loup dans la bergerie » mais il faut rappeler qu’en 1993 le marché était totalement différent d’aujourd’hui. Les shapers avaient encore du travail, les planches asiatiques n’étaient pas encore à l’ordre du jour et nous étions les premiers à fabriquer des planches d’initiation, marché que les shapers boudaient un peu.
Srp: Et maintenant, quels sont leurs sentiments vis-à-vis de la marque Bic ?
J’ai toujours eu d’excellentes relations avec la grande majorité des shapeurs français qui respectent les planches Bic et qui ont compris que de telles planches ne peuvent qu’aider a augmenter le nombre de pratiquants, donc de futurs clients potentiels pour eux. Je pense que les shapers en général ont plus de ressentiment contre la production asiatique que contre les surfs Bic. Pour conclure cette réponse je me permets de signaler que des shapeurs réputés comme Jean Pierre Stark, Michel Borel et Renaud Cardinal proposent des surfs Bic dans leur propre surf shops.
Srp: Le petit monde du surf Français s’inquiète pour l’avenir de nos shapers. Pensez vous que les planches de fabrication industrielle sonnent le glas des productions artisanales ?
Les shapers indépendants existeront toujours, c’est un métier de passion que l’on fait rarement pour vraiment gagner de l’argent. Il y aura toujours des surfeurs qui voudront des planches personnalisées, vraiment sur mesure pour eux tant au niveau du shape que de la construction ou même de la déco. Par contre cette fourchette de clients est très réduite par rapport au nombre de pratiquants plus basiques qui ne recherchent pas forcement du haut de gamme.
Le surf est un sport long à dominer, la progression est lente si on la compare par exemple au snow board, un surfer passe beaucoup de temps avant d’avoir vraiment besoin de matériel sur mesure. Il y a 20 ans les surf shops acceptaient de vendre des planches avec des marges réduites. De nos jours tout doit être rentable et c’est très difficile pour les shapers de se développer, c’est à dire de créer leur propre réseau de revendeurs.
Les shapers pourront toujours travailler en vendant leur production directement aux surfeurs mais cela réduit obligatoirement leur potentiel de toucher des clients.
Srp: Certains surfers associent les planches Bic aux productions asiatiques, ce qui est loin d’être un compliment. Quel est votre sentiment par rapport à ces réticences ?
Les planches de surf BIC sont fabriquées en Bretagne, à Vannes et sont exportées dans le monde entier. De plus en plus de gens le savent, nous le mentionnons dans notre communication et c’est de plus en plus un atout de qualité pour le consommateur.
Srp: Considérée souvent comme une première planche, la Bic est elle selon vous cantonnée à ce rôle ?
La gamme ACS en polyéthylène thermosoufflé est résolument orientée vers l’apprentissage et l’initiation.
Par contre nos modèles E Comp en époxy thermoformé sont des planches performantes avec la réactivité nécessaire à des surfers de meilleur niveau. Nos longboards en particulier sont surfés partout par d’excellents surfers.
Srp: Bic c’est imposé sur le marché de la planche de location tout comme planche de référence dans les écoles de surf. Cette présence très marquée et remarquée ne peut elle pas à force nuire à son image pour cette catégorie de planches plus performantes ?
C’est indéniable, les planches Bic n’ont pas l’image High Tech que certaines autres marques se donnent à grands coups de Marketing. Mais notre image de planche grand public, facile a surfer et pas chère nous convient tout a fait.
Srp: Toujours dans cette même idée, on sait qu’une certaine concurrence est nécessaire au bon développement d’un produit. Pour vous Bic n’est il pas trop présent ?
Certes quand tu vas surfer par exemple à Lacanau, tu peux facilement halluciner sur le nombre de planches Bic à l’eau. Je rappelle qu’elles sont durables et que nous en vendons depuis plus de quinze ans ! La concurrence est bien là et de plus en plus agressive mais nos planches continuent cependant à bien se vendre et à plaire a beaucoup.
Srp: Vous attendiez vous à un tel succès ?
La réputation et le succès des planches Bic ne se sont pas fait en quelques mois, c’est une aventure qui dure déjà depuis 15 ans.
Srp: La production en série limite t’elle les possibilités de shape ?
Les techniques de fabrication que nous utilisons permettent de reproduire a l’identique n’importe quel shape, aussi sophistiqué soit il. Mais par contre nous manquons de souplesse pour varier les modèles, l’investissement nécessaire à la fabrication d’un modèle est très lourd et cela nous oblige à fabriquer des planches qui conviennent au plus grand nombre.
Srp: La société Bic a-t-elle dans l’idée de s’approcher au plus du shape artisanal avec par exemple ses choix dans les matériaux ou dans des phases de travail plus manuel ?
Je répète que nos techniques de fabrication sont totalement différentes de la fabrication artisanale, par contre nous utilisons des matières premières similaires.
Srp: On assiste ces derniers temps à la redécouverte de lignes anciennes. Les planches « oldschool » fleurissent sur les pics et sont de plus en plus mises en avant dans le monde du shape artisanal. Que pensez vous de cet état de fait ?
J’ai surfé les planches Old School à l’époque où elles étaient « New School ». Je n’ai donc pas personnellement d’attirance pour ce genre de designs, je préfère des shapes modernes. Mais je comprends très bien l’attirance que ces planches peuvent engendrer chez ceux qui sont nés après et je trouve très bien qu’ils essayent de retrouver des sensations de glisse différentes.
Srp: La décoration joue aussi maintenant une énorme part dans le choix d’une planche : Résines teintées, glassage, polish…. Bic est il sensible à cette réelle demande ? Pouvez vous y répondre ?
Les décos sont toujours simples sur nos planches. On achète rarement un surf Bic parce qu’on a flashé sur la déco, soyons honnêtes ! C’est un choix que nous avons fait afin de réduire le prix final et parce que nous voulons rester simple pour plaire au plus grand nombre plus pour la qualité de nos planches et leur prix que pour leur look.
Srp: Le cahier des charges d’un shape Bic ne doit pas être simple. Il va, si je peux me permettre, à l’encontre de la relation shaper/surfer (une planche unique pensée et réalisée pour un surfer unique). Comment se défini et se décide un shape Bic ?
La belle histoire de la planche unique ! C’est d’ailleurs unique dans le monde du sport, va t on se faire fabriquer un snow board sur mesure ? Plus sérieusement une planche Bic est conçue a partir d’un cahier des charges qui englobe le programme d’utilisation, le gabarit des surfers , leur niveau et les vagues pour lesquelles la planche est faite.
Des fois ces paramètres peuvent changer d’un continent à l’autre et ce n’est pas toujours simple à gérer pour créer un modèle que nous vendrons dans le monde entier.
Srp: Bic est sans doute l’un des principaux acteurs de la « démocratisation » du surf. Ce terme, que vous employez, vous pouvez nous l’expliquez dans la pratique du surf ?
Définition du Petit Larousse : démocratiser : mettre à la portée de tout le monde, rendre accessible.
Pendant longtemps le surfer débutant commençait avec la planche du copain ou du grand frère, des générations entières de surfeurs potentiels se sont dégoûtés parce qu’ils essayaient d’apprendre avec des planches trop techniques.
Pourquoi n’y avait il pas de filles a l’eau il y a 25 ans ? Parce qu’elles essayaient un jour avec la planche de leur copain et arrêtaient aussi sec. Nous avons été les premiers à proposer des malibus spécialement conçus pour rendre l’apprentissage le plus facile possible, d’ou démocratisation dans le sens littéral du terme.
Srp: Pour bon nombre d’entre nous le surf est une passion. Cette « démocratisation » ne va-t-elle pas changer cette manière de voir le surf ?
L’intensité d’une passion n’est pas liée au nombre de personnes qui la ressentent. Au contraire plus il y a de passionnés et plus une culture propre à cette passion peut de développer et la rendre encore plus passionnante. Le surf n’est pas une mode, je parle du sport en lui même qui n’a rien a voir avec le coté look surfer des grandes marques de surfwear. Même si un jour la mode surf peut disparaître, la pratique du sport en lui même continuera à progresser.
Srp: Lors des sessions estivales de nombreux débutants sans réelles connaissances des dangers de l’océan se retrouvent parfois en difficultés. La société Bic fait elle un travail de sensibilisation par rapport à ces dangers bien réels ?
Depuis plus de dix ans nous éditons le guide GO SURFING que nous distribuons massivement dans les shops et les écoles de surf.Dans ce guide on trouve des conseils très détaillés sur la sécurité, les règles de bonne conduite à l’eau, le choix du matériel et l’apprentissage du surf.A noter aussi que ce guide est téléchargeable sur notre site Web http://www.bicsport.com
Srp: Il y’a de plus en plus de monde au pic. Difficile pour un débutant d’assimiler la pratique du surf et de découvrir en même temps et parfois bien malgré lui les règles de priorités et celles moins posées mais bien réelles qui existent sur un pic. Encore une fois, la société Bic fait elle un travail d’information à ce sujet ?
Même réponse que question précédente. Nous avons aussi un fort partenariat avec la Federation Française de Surf au niveau du label Ecole de Surf Français.
Srp: Je sais que malgré un emploi du temps chargé vous continuez à vous faire des petites sessions. Pouvez vous nous décrire votre quiver ?
J’ai plein de planches….Je m’en sers de moins en moins, je deviens frileux en vieillissant ! Cet été j’ai surtout surfé avec un malibu fish 8’ en époxy et j’aime beaucoup faire du Stand UP quand les vagues sont petites ou même juste pour ramer.
Srp: Le shape artisanal fait il toujours parti de votre vie ?
Je n’ai plus le temps de shaper mais j’ai de plus en plus de pression de la part de mes amis et anciens clients dont les planches commencent a fatigué, il faudrait que je m’y remette, cette histoire n’est pas finie…
Srp: Est il toujours façile de passer du monde du shape artisanal à celui de la production en série et vice versa ?
Cela ne m’a jamais posé de problème, les deux sont liés.
Srp: Je vous laisse le mot de la fin …
Tout d’abord un grand merci pour l’intérêt que votre site sympa m’a porté.
Je voudrais juste revenir sur quelque chose qui me paraît important : il y a de plus en plus de monde a l’eau, un « vieux « surfer comme moi hallucine souvent quand il va checker un spot pour surfer. Forcement des tensions apparaissent parfois, j’ai remarqué qu’un sourire,un petit « Whaou ! » devant une vague bien surfée,ou simplement le fait de laisser passer une vague pour que son voisin de line up puisse la prendre ,que tous ces petits gestes citoyens font des merveilles.
Je ne supporte pas le gros con qui utilise son longboard pour prendre toutes les vagues ni la super star du jour qui ne laisse que les miettes aux minots qui apprennent a surfer.
Nous allons tous à l’eau pour nous détendre et communier avec l’océan, il ne faut pas gâcher notre sport magnifique par des attitudes déplacées ou agressives.
KEEP SURFING !
Merci beaucoup à Gérard Dabbadie pour sa disponibilité et tout simplement pour la rencontre.
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