Le sujet du pré shape peut sembler ambitieux et un peu téméraire pour un forum comme le notre. Les avis le concernant sont souvent tranchés et passionnés. Il y’a ses partisans qui y voient une évolution normale du shape. Une manière de faire face à une demande rapide ou encore de contrer un marché qui voit de plus en plus d’importations à bas prix. De l’autre côté ses détracteurs, des surfeurs comme des shapers, qui ne veulent pas entendre parler de cet outil remplaçant, au moins jusqu’à un certain point, le geste de l’artisan shaper. Nous allons donc nous positionner, au moins pendant un moment, en retrait. Loin de toute polémique et sereinement, nous allons faire, à l’image de notre forum, esprit d’ouverture et découvrir d’une façon plus détaillée le pré shape : ce qu’il est vraiment et sans doute ses limites. Pour cela, nous vous proposons une rencontre. Celle de celui qui est le gérant et créateur de KM Systèmes. Cette société qui commercialise l’une des plus performantes des machines de pré shape.
Surfrepotes : Tout d’abord les présentations, ton C.V flash :
Planchiste, depuis l’age de 18 ans… ce qui fait… Ooops longtemps ! Imagine les premiers windsurfers avec le wish en teck !
Entre deux coups de vent, j’apprenais l’électronique qui m’a poussé naturellement mais de façon incontournable vers l’informatique plus tard. Deux notions essentielles pour se lancer dans l’aventure…
Srp : Peux tu nous raconter comment l’idée de développer une machine de pré shape t’est elle venue ?
Longue histoire : J’ai toujours shapé mes propres planches, avec des idées précises de ce que je voulais, mais c’était de vrais oignons… impossible de faire un shape correct… elles marchaient bien, répondaient à notre façon de naviguer, mais pas vraiment présentables ! Et puis un jour un copain a ramené d’Hawaï un vrai bijou, j’ai pris quelques cotes sur le parking, mais pour la mettre en forme, il me manquait un outil : le logiciel 3D. Le défi prenait forme dans ma tête. J’avais d’autre part réalisé un super logiciel dans mon job (électricité), mais je me suis attiré plus de jalousie que de reconnaissance. D’où l’envie de créer quelque chose de bien, mais pour moi cette fois !!! Le défi était lancé…
Srp : Combien de temps s’est il écoulé entre l’idée et sa première finalisation commercialisable ?
J’ai donc commencé le logiciel de dessin en 95. Au bout d’un an, j’arrivais à obtenir quelque chose qui ressemblait à une planche en 3D. En même temps, j’ai commencé à faire joujou avec des moteurs pas à pas… Si à cette époque j’avais eu idée de la somme des difficultés qui m’attendaient… j’aurais jeté l’éponge tout de suite ! Un ami très précieux m’a aidé à me servir d’un tour et d’une fraiseuse pour la partie mécanique de l’affaire : j’étais novice mais je voulais maîtriser les 3 aspects nécessaires : électronique, informatique et mécanique. Ainsi, du pixel à la pointe de la fraise, je pouvais contrôler toute la chaîne… Bien m’en a pris pour la suite des évènements : Je peux difficilement expliquer l’intelligence qu’arrive à développer un tas de ferraille pour refuser d’obéir gentiment !!!
Srp : As-tu eu besoin de la collaboration d’un shaper pour sa mise au point et pourquoi ?
Au départ, Raphaël Salles (F-One) m’avait demandé de shaper ses tous premiers flysurfs, surtout au fil chaud au début, sur mon premier proto. Et puis j’ai rencontré Colas (Jade) à qui j’ai proposé mes services en échange d’accepter sans râler de voir probablement quelques pains bousillés… Son côté très tatillon m’a fait vraiment progresser dans la précision (toute relative au début) de la machine.
1er Proto:
Et puis, avec le contact de Cobra grâce à Raphaël, les choses sérieuses ont commencé, et même si tout ne s’est pas bien passé avec eux, ce fut réellement le coup d’envoi. Premiers contacts dans le monde du surf, et tout de suite les grands noms…
2eme Proto:
Puis avec les premières machines vendues, chaque shaper a apporté sa touche dans le logiciel… et il continue d’évoluer chaque jour.J’utilise régulièrement la KMS3200 qui est chez moi pour Colas, pour ses surfkites, ça me permet de continuer à l’améliorer. Et on est fier de fournir régulièrement des coureurs qui remportent des titres européens et même mondiaux en vague ou en longue distance.
Srp: Peux tu nous expliquer son principe et son mode d’utilisation ?
Au départ, j’ai volontairement ignoré tout ce qui se faisait dans ce domaine pour pouvoir offrir quelque chose de très simple. Je ne voulais surtout pas m’encombrer de normes et de standards qui auraient compliqué le truc : Un dessin de surf et 3 boutons : pont, carène, stop !
Côté structure de la machine, je voulais aussi quelque chose de léger, rigide, compact, transportable et le moins cher possible pour être accessible dans ce milieu qui n’est pas vraiment industriel… et à qui les banquiers ne font pas de grand sourire !
Je crois être arrivé à cet objectif, puisqu’un de mes clients ne connaissait même pas Windows et un autre ne dépassait pas 130 surfs/an (avant d’acquérir la machine). Bien sûr, le logiciel s’est doté de boutons supplémentaires au fur et à mesure des desiderata des uns et des autres, mais ça va... On s’en sort encore !
Je suis arrivé donc à un principe qui semble si simple : Un PC+ logiciel, 3 moteurs bruschless (avec un protocole de communication très spécial qui permet de ne pas avoir de carte commande numérique, c’est le logiciel qui s’en occupe ) et un châssis rigide en profilés alu BOSCH (maous costo )
Et quelques accessoires : coffret d’alim, électrobroche, fraise, pompe à vide, caméra, spot laser, carte d’acquisition, aspirateur de copeaux, etc… Tout se gère depuis le PC : tu dessines, tu usines et tu scannes avec un seul et même logiciel, KMShape. Je ne sais plus qui a dit : « Il n’y a de réel progrès que dans la simplification ». J’en ai fait ma devise, mais ce n’est pas toujours simple !!!!
Srp: Certains shapers communiquent sans détour sur l’utilisation de ta machine. D’autres préfèrent rester discrets tout en ayant recours à celle ci. Comprends tu ces derniers ? Quel est ton sentiment par rapport à cette discrétion ?
Ça m’a toujours amusé : dans le milieu de la planche d’où je viens, le paradoxe entre les voiles et le shape était spectaculaire : pour la voile, la plus haute technologie était (et est toujours) i n d i s p e n s a b l e !!! étude en soufflerie, calcul d’écoulement de fluide, dérivée seconde et j’en passe… Flotteur ? Malheureux !! Seul un shaper de génie est capable d’une merveille !!! Toute forme de technologie est à bannir !
Dans le surf, il est vrai que tout est dans le « senti » : Un surf conviendra à tel surfeur mais pas à un autre… C’est la seule raison qui sauve l’artisanat dans ce milieu où l’appât du gain pousserait facilement vers la production de masse… Il faut absolument préserver la relation shaper/surfeur à travers le conseil et la personnalisation de chaque surf.
Cobra a pu tuer l’artisanat dans le windsurf (excepté l’irréductible Sergio Munari de Black Local ) parce que tout le monde voulait la planche unique de Naish ou Dunkerbeck, et hélas, aujourd’hui c’est la même chose dans le kitesurf.
Alors chacun est libre de communiquer sur ce qui lui semble important : technique ou artisanat.
Sergio Munari :
Srp: Des shapers et surfeurs voient dans le pré shape une certaine perte d’identité du shape artisanal, qu’en penses tu ?
Tout le contraire bien entendu ! Mais même sans prêcher pour ma paroisse, les contacts enrichissants que j’ai tissé dans ce milieu me conforte dans cette idée. Quand je vois comment Gérard Depeyris, - qui pour moi est un véritable artiste du shape, un amoureux de la courbe parfaite, (sans autre allusion.. humm.. quoique ;o) et ce depuis de nombreuses années - arrive à sortir des pré shapes fantastiques grâce au logiciel qui autorise tous les délires possibles et de la machine qui offre la précision nécessaire, je prends ça comme ma plus grande récompense !
Au centre Mister Shaper Depeyris:
Srp: Les shapers ont la réputation d’être plutôt solitaires dans leur travail. Pourtant aujourd’hui nous voyons des regroupements de shapers autour d’une même machine. Une possible réponse à l’offensive des productions asiatiques ?
Question difficile parce que sujet délicat : tous les milieux sont touchés.
Oui bien sûr, la profession est atypique. Mais il y a plus gênant encore que la production asiatique. La fermeture de Surfoam devrait servir de leçon. Tout le monde la déplore aujourd’hui. Et pour pouvoir faire face, il faut du volume, obtenir de bon prix… résine, fibre, etc…
Imaginer une centrale d’achat ? Peut-être qu’autour de Patrice, quelque chose aurait pu naître ? …
Mais effectivement, ça parait un peu utopique, en tous cas difficile à mettre en place. Je pense qu’il y a une volonté d’ouverture et de regroupement, mais on sent tout de même une gue-guerre entre shapers.
Ce serait pas mal de créer un label rouge, un « made in France » à l’image des produits de luxe que tout le monde s’arracherait !! Hélas, certains préfèrent s’identifier à de grands noms du shape australiens ou californiens, acheter les mêmes produits, (je ne citerai pas de noms…) et pire : ce sont bien des shapers français ou des shops qui sollicitent la production asiatique… sans trop chercher de solution à nos portes.
Oui, situation et sujet délicat…. et à terme… humm
Srp: Penses tu que le pré shape vient s’inscrire dans une évolution logique dans la conception artisanale d’une planche ou est ce la naissance d’une nouvelle forme de travail du shape?
Je crois que dès qu’on y a goûté, il est difficile de faire marche arrière. De plus, ça libère le shaper d’un long travail, ce qui permet de consacrer du temps à d’autres innovations.
Par exemple Alberto Galetti ( RT Surfboards ) vient de mettre au point des nouveaux surfs avec des pains en polystyrène, résine époxy et rails en carbone … question de créativité !
Mais je pense que le travail change radicalement. C’est tellement facile de changer un outline ou un scoop en quelques secondes. Plus de gabarit à retailler…
Sergio Munari ou comment shaper tout en buvant son café...
Au Portugal, j’ai regardé Xanadu ou Ricardo Martins (immenses shapers brésiliens / californiens) designer leur modèle fétiche sur mon logiciel et les adapter à une demande particulière avec une aisance qui laisse penser qu’ils ont abandonné le rabot depuis longtemps…
Et quand à la fin de l’usinage, ils tournent et retournent la planche dans tous les sens le regard sérieux , puis avec une moue d’approbation ils me regardent en levant le pouce… wouaouh… c’est trop bon ))
Mark McGuire
Srp: Faut il avoir des connaissances poussées sur le shape pour utiliser ta machine ?
Un minimum est nécessaire, comprendre au moins à quoi sert un concave, un vee, ou des rails vifs… mais les surfeurs connaissent tous ça ! Et puis la machine a vite fait de t’ apprendre à designer des courbes correctes, résultat immédiat garanti ! Le moindre défaut saute aux yeux…
Srp: Selon toi, ne risque t’on pas voir l’ emergence d’une nouvelle génération de shapers formés exclusivement au maniements de machines ?
Bien sûr, c’est le risque, pour peu que s’en soit un. Un excellent shaper aligne au minimum 10 ans de savoir et d’expérience derrière lui. Avec la machine, j’ai pu réussir moi-même une planche parfaite… c’est dire !!!
Bon… on peut comprendre une certaine jalousie de la part des experts du rabot (c’était pas mon cas, c’est sûr), mais bon… je ne connais pas un seul shaper de renommé internationale qui n’en utilise jamais.
C’est un outil, performant, mais ça reste un outil.
Le shaper est créatif ou pas, il suit la mode ou il la précède !
Il a à sa disposition l’outil performant pour aller au bout de sa créativité, tout en se libérant d’une certaine dextérité, souvent difficile à acquérir.
C’est ce qui me faisait râler quand je voulais avoir une planche spatulé pour nos vagues courtes de méditerranée, alors que pendant des années la mode Naish nous imposait des trucs tendus à l’extrême qui enfournait tout le temps. (n’a pas les vagues d’Hawaï, nous… ) Alors je les shapais…. mais je ne les montrais surtout pas ;o)
Srp: Le(s) logiciel(s) utilisés pour programmer la phase de pré shape calculent-ils toutes les courbes en fonction des principales données fournies par le shaper ? Reste t’il une marge de liberté à ce dernier ?
Surtout avec le mien, il plait ou pas, mais il offre toute possibilité, et contrairement à la plupart de mes concurrents, j’utilise des courbes passant par des points réels et non des courbes de Bezier ‘tirées’ par des points virtuels…
Il faut savoir aussi sortir des sempiternels chiffres ultra précis à 1 et 2 pieds, pour se focaliser davantage sur l’aspect global du shape, et de la régularité des courbes. Gérard est impressionnant pour ça !
Rien ne m’agace plus qu’un shaper qui mesure à 30.5 cm de l’arrière (c’est où l’arrière exactement dit ? ) et qui me dit : là gnaa : j’ai 23.5 au lieu de 23 !!! Comme si c’était la faute de la machine, grrr
Srp: Avec son option qui permet de relever des côtes avec une grande précision au moyen d’un laser, ne penses tu pas qu’il y’est un risque de dérives de la part des clients : « Bonjour, je veux exactement la même planche que mon pôte et rien d’autre !» ?
Oui, mais je suis persuadé qu’ on va vouloir sa touche perso. Pour ma part, je voulais la même planche hawaïenne que mon pote, mais avec 5 litres de plus vu notre différence de gabarit… et c’est pour ça que j’ai commencé l’aventure du logiciel de dessin…
Et puis imagine : 2 planches identiques, mais tu as juste modifié un paramètre, le concave par exemple, et tu peux en tester l’impact ! intéressant non ? (ce que je fais régulièrement avec Colas pour des surfkites)
Srp: En sachant qu’il n’existe pas à ce jour de notion de copyright dans le monde du shape, voici la même question mais placée cette fois ci du côté de certains shapers : « Voici la réplique exacte au millimètre prés de la fameuse planche shapée par …….. »
On rejoint ma remarque sur la planche unique des grands champions de planche à voile. En surf, c’est différent : la meilleure planche du monde est le résultat d’une collaboration étroite entre le surfeur et le shaper.
D’où les teams, et quand un grand shaper aligne les podiums, c’est qu’il sait écouter ses coureurs ! Il n’y a pas de planche magique et unique… heureusement ! Les réglages de la formule 1 de Prost n’aurait sûrement pas convenu à Schumacher
Srp: Poussée à ses dernières limites, la machine peut elle remplacer tous les gestes du shaper ?
C’est une question de temps disponible, du nombre de passes.. et au final de rentabilité (on en sort pas.. )
Mais il est un moment privilégié dans le travail du shaper : celui de donner la touche finale.
J’adore voir sur les étagères les shapes finis, tout propres, signés, fragiles (« touche pas !!! » ) parfaits… juste avant d’être décorés ou stratifiés… c’est le résultat de la main de l’homme. La machine humaine est irremplaçable.
Srp: Accepte t’elle toutes les longueurs et les différentes textures de pain de mousse ?
La KMS3200 (3200 c’était la longueur au début) existe en 10’ en 12’ et même 14 ‘. J’ai pu usiner à peu près tout ce qui se fait comme mousse…. Ce n’est qu’un question du choix de la fraise.. mais j’en ai essayé de toutes les couleurs.. Je fais fabriquer les dernières aux US , elles sont terribles ! Ca soulève la question de la tenue du pain de mousse aussi, latte ou pas, cellule fermée ou ouverte, etc… pas toujours simple.
Mousse PPE:
Balsa:
Srp: Penses tu pouvoir améliorer encore le principe du pré shape ?
On peut toujours améliorer le pré shape.
Je travaille actuellement sur un quatrième axe qui permettra un gain de temps, plus de finesse entre les passes et de précision dans le retournement du pain…
Mais c’est surtout pour d’autres applications, comme le détourage de composite, et aller vers d’autres marchés, même si le milieu du surf reste le plus passionnant.
J’ai d’ailleurs fait un nouveau logiciel plus industriel avec un graphisme 3D superbe, et je voudrais migrer KMShape vers cet environnement…
Srp: Travailles tu sur d’autres projets ?
Oui bien sûr. Le domaine du numérique est immense. Entre le scanner 3D et une machine numérique 3, 4 ou 5 axes à des prix attractifs… y a de quoi faire.
Je voudrais aussi essayer de faire en sorte que la machine puisse poncer. Au moins le plus gros, là où tu en respires un max.
En 3 axes, c’est impossible, mais avec le 4° et une articulation, ça doit le faire.
Le logiciel fera le reste… à suivre.
Et puis bien que je ne fasse aucune com, (excepté mon site que je n’ai pas le temps d’actualiser…) je commence à avoir de plus en plus de demande par le bouche à oreille sur des projets de machines spéciales… bon.. c’est pas mal aussi…
Srp: Une dernière chose a ajouter ?
Un grand merci de m’avoir contacté, ce qui me permet de communiquer un peu et de faire partager ma passion dans ce milieu de passionnés…
Cette machine est un concentré de tout ce que je sais faire, qui plus est dans le domaine d’un loisir hors du commun.
J’éprouve un grand plaisir à travailler comme ça, participer à l’évolution du surf, multiplier les contacts, même si tout n’est pas gagné d’avance.. loin de là !!
Merci encore de ta disponibilité, je pense sincèrement que tes explications sur ce qu’est le pré shape et ta vision des choses par rapport à ce dernier seront lus attentivement par les amoureux des planches en quête de compréhension du shape actuel et de ses possibles évolutions.
Lien du site de KM Systèmes : http://kmsystemes.com/
Propos recueillis par Pipeau
Photos publiées avec l’aimable autorisation de Kmsystemes
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