Comme disait Paul Klee, “pour faire neuf, il faut remonter à l’humanité en enfance”. Du passé, on apprend sans cesse, et le futur peut alors s’inventer en permanence. Ainsi, pendant plus de quinze années à fabriquer des planches, tout en s’intéressant à l’histoire du shape sans en rien renier et tout en peaufinant ses bases, David, shaper de SWOP surfboards, n’a eu de cesse d’expérimenter des formes innovantes. Une vie de shaper est jalonnée de milliers de planches, mais certaines la marquent plus profondément que d’autres. Dans les années 90, David avait déjà développé un nouveau template auquel il avait donné le nom de micropoussette, nom qui restera d’ailleurs par la suite. Mais c’est souvent une forme de tail, de nose, un channel, un détail un peu particulier qui fait que la planche créée est différente des autres... Celles réellement atypiques restent rares et fascinantes.
Pour expliquer la genèse du prototype dont je vais vous parler ici, il faut remonter à une jeunesse, qui, en plus d’être consacrée au surf, était aussi tournée vers le skate. Il faut dire que c’est uniquement les deux pieds vissés sur une planche à roulette que David concevait de se déplacer, pratiquant sa passion en compétition mais aussi au sein d’un club qu’il avait créé et l’enseignant aux jeunes de sa commune. Il ne lâchait pas son skate, même en voyage avec ses parents, traçant sur le bitume ou sur les rampes qu’il pouvait trouver, se faisant virer manu militari de la place Saint Marc à Venise ou de Saint Pierre à Rome lors d’un trip en Italie au grand damne de sa mère. Dans notre région côtière, le surf des mers s’est naturellement greffé sur cette glisse urbaine... Cette double école, du surf et du skate, a forcément une influence ; certains shapers ont commencé par la planche à voile, d’autres s’intéressent au kite, et à chaque fois, il en résulte forcément des émulations différentes et un bagage plus conséquent. D’une manière globale, le skate a toujours tiré David vers des planches plus courtes et plus rondes, ce qui était déjà le cas avec la micropoussette, les fishs et autres modèles ponctuels.
Cela fait longtemps que l’idée d’un véritable mixe entre surfboard et skateboard trottait dans la boite à projets de David... De son avis, à travers des figures de type varial ou ollie pop, le surf actuel se dirige vers une exploitation plus grande de la planche elle-même, au delà de la glisse traditionnelle qui utilise essentiellement la configuration et l’inertie de la vague. En effet, une quatrième dimension est venue se rajouter, dimension qui a eu des conséquences directes sur le surf et sur le shape. Après la dimension aérienne, déjà investit depuis longtemps, cette quatrième dimension peut être considérée comme l’ensemble des possibilités qu’offre la planche en tant que telle : comme en skate, les figures effectuées par le surfer et son surfboard peuvent désormais être indépendantes de la vague et avoir une certaine autonomie, autonomie qui ouvre la voie à une créativité nouvelle tant dans la façon de surfer que dans le shape. Désormais, ce qui fait la différence entre un bon surfer et un surfer classique, sera, outre la faculté à maîtriser les figures traditionnelles en fonction de la lecture de la vague, la capacité à transposer des figures issues du skate en recréant des manœuvres exploitant bien plus la mobilité intrinsèque de la planche.
L’observation du nouveau style du surf contemporain, plus aérien, plus enclin aux tricks qui s’inspirent directement du skate, et l’expérience aidant, voilà David partit cet hiver dans le dessin de cette planche métissée. Au départ, l’idée était de pouvoir faire des flips et des varials, il fallait donc proposer le projet à un surfer brillant qui soit aussi très bon skateur, et qui soit surtout curieux, créatif et ouvert à de nouvelles expériences. Teiki Ballian, team rider chez Swop depuis plusieurs années, semblait le surfer idéal, de par sa glisse dynamique, explosive, aérienne et engagée.
Au niveau du shape, adapter les caractéristiques d’un skate sur une planche de surf afin de pouvoir effectuer des tricks, n’était pas sans difficultés, mais le résultat est étonnant et peu académique. La symétrie de la planche autour d’un axe médian horizontal (twin tip) propose un nose identique au tail. Nose et tail ont été coupés larges pour gagner en flottabilité et en manœuvrabilité. Il a donc fallu repenser le placement des dérives en fonction de cela et de la longueur totale très courte, tout comme le rocker et la forme des rails qui ont été étudiés pour compenser la diminution de taille et la perte d’épaisseur, afin que la planche reste surfable. La répartition du volume de mousse, relativement constant sur la totalité de la surface, a aussi été réfléchi pour que la planche flotte mieux. Un concave a été réalisé sur le dessus, au lieu du traditionnel dôme deck, pour permettre une meilleure adhérence des pieds sur la planche qui semble coller au surfer pendant les manœuvres. Les différents paramètres avaient déjà été expérimentés sur un bon nombre de planches, dont certaines pour Teiki, mais jamais tous ensembles sur un même prototype. Au final pour les côtes la planche fera 5'0 x 18" x 1"7/8.
Les premiers essais du prototype par Teiki ont été difficiles du fait des côtes très différentes et pauvres en volume par rapport à une planche classique. Son premier réflexe a été de surfer comme à son habitude avec des appuis pieds arrières, mais très vite il a compris qu’il fallait la surfer comme un skate ou un wake board, avec plus d’appuis sur le pied avant. Après ce court temps d’adaptation, il a très vite pris la planche en main et a été surpris par les nouvelles perspectives qui s’offraient à lui tant au niveau des figures que des trajectoires. La planche se révéla être extrêmement maniable et réactive pour les raisons invoquées précédemment : sa faible longueur permet de tourner plus court et son shape en twin tip facilite les switchs, les reverses, les varials, ollies pop et autres aérials qui deviennent d’une simplicité bluffante. Le profond concave sur le dessus s’est aussi révélé très efficace pour passer les laybacks et autres snaps, permettant, en renforçant l'adhérence pieds / planche, de radicaliser les manœuvres.
Une nouvelle planche est déjà à l’essai. Petite soeur de celle-ci, elle reprend l’esprit skate avec un eu plus de longueur et un lattage parabolique issu de la technologie flexcel. Nous y consacrerons un article à venir.
On se rend compte, avec de tels prototypes, que le shape est loin d’être un travail forclos, au contraire, beaucoup de voies restent à explorer afin d’ouvrir le champ des figures possibles en surf. Des planches que l’on auraient pensées insurfables il y a quelques années se révèlent être des outils précieux à une créativité nouvelle ; comme quoi, il n’est de limite que celle de notre imagination...
Fréderique Seyral.
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