Je devais faire vite, car j’avais un rendez je crois, ou peut être me rendre sur mon lieu de travail. Il était très tôt le matin, je quittais ce qui devait être mon domicile à la nuit dans un énorme vieux break style américain (Sans doute issu de mes lectures actuels) et je rejoignais quelques individus pour une hypothétique session surf sur un spot qui ressemblait, non qui était à pour sur, un lac, avec des roseaux, entouré d’une forêt… Les lueurs de l’aube faisaient alors tout juste leur apparition sous un ciel gris…
Paysage hivernal et glacial, on attendait la houle dans une forêt noire et à demie enneigée face au spot qui ne laissait présager aucune micro-houlette possible tant le plan d’eau était une plénitude affligeante. Pourtant je semblais familier au lieu, je savais que ça allait fonctionner, je connaissais l’endroit comme ma poche.
On devait attendre la montante ? Je m’étais trompé dans les horaires, et c’est lorsque les premiers trains de houle firent leur apparition, ridicules, insignifiants, mais étrangement irrésistibles, terriblement attirant, que je devais repartir, en laissant mes éphémères compagnons, et sachant qu’ils allaient « se gaver »
Et me voilà bizarrement en train de vagabonder dans des paysages ruraux et agricoles sans fin, à pieds, au milieu de champs à perte de vue, sous un soleil tapant, mais loin d’être injuriant, lorsque j’entendis un bip lointain qui semblait venir de partout à la fois, et qui se répétait, se répétait, se répétait de plus en plus fort, tout devint flou, puis sombre, sauvage agression qui brise la relaxation du corps et de l’esprit, j’ouvrais les yeux, tentait de retrouver mes 5 sens encore endormis, cherchait maladroitement le réveil à tâtons sur la table de nuit…
Les rêves des fois… Ça nous marque comme celui-ci, et on se demande bien où est ce que notre esprit va chercher tout ça… Marrant que ça m’arrive ce matin, alors que je prévois justement de profiter de la marée pour m’offrir une session matinale avant le travail. Surprenant aussi que je m’en souvienne aussi bien, pour une fois… J’ai l’impression également que nos rêves conditionnent en quelques sortes notre état d’esprit pour le reste de la journée…
Une chose est sure, ce matin entame le 8ème et dernier jour sans surf, et c’est la raison de mon réveil prématuré. Je compte bien inscrire dans cette deuxième semaine de janvier, une 3ème session au compteur 2011.
Un regard vers ma douce qui dort encore paisiblement et sur laquelle le réveil est d’une impuissance déconcertante, elle est belle, et je suis pris d’une irrésistible envie de retourner dans ses bras et par la même occasion dans ceux de Morphée… Il est 6h30, je commence le travail à 8h (En théorie…)
Mais non, l’esprit sera plus fort que le corps cette fois ci, et je quitte non sans peine la chaleur des couettes pour entrer dans l’univers glacial des premières minutes d’une journée… Sorte de renaissance, où l’on quitte le milieu chaud, doux et sécurisé du ventre de sa mère pour un monde froid et hostile. Heureusement que le traumatisme de la naissance ne se répète pas chaque matin…
Un regard par la fenêtre, il fait encore nuit, mais on distingue les premières pales lueurs d’un soleil encore timide, et comme moi, pas tout à fait réveillé. Pas de vent.
L’océan d’un bleu sombre supporte un ciel encore étoilé, et avant celui-ci, sur 400m, Ain Sebaa, silencieux, ce quartier industriel au nord de Casablanca, sans aucun intérêt touristique, si ce n’est qu’il est bordé par l’Atlantique, et si on est pas du coin, on n’y passe pas ses soirées, on ne s’y arrête pas pour prendre un café, on n’y va pas pour déjeuner non plus, et on évite d’y traîner la nuit… Enfin il parait. Et pourtant ce n’est pas l’animation qui manque. Les usines et autres industries dégueulent leur lot de camions, de travailleurs, et autres engins en tout genre à longueur de journée, du matin au soir. Mais là, à cette heure, rien ne bouge, pas un bruit si n’est celui des vagues qu’on distingue au loin si on tend bien l’oreille. Le calme avant la tempête, un moment de sérénité délectable. Paradoxalement je ne suis pas un lève tôt, et pourtant c’est le moment de la journée que je préfère, j’ai l’impression d’être seul au monde, et d’être privilégié d’un instant magique.
Ain Sebaa, l’œil du Lion en Français, ce quartier sans grand intérêt, populaire, où je vis, et pourtant, où je m’y plais énormément, je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose m’attire en lui, me rend presque fière. Peut être parce qu’ici les gens sont plus simples, plus sincères, loin des étalages grotesques de richesses qu’affiche les habitants du centre ville de Casablanca, où il est de bonne aloi de jouer à celui qui a les plus belles sapes, la plus grosse voiture, les plus gros (Et voyant) bijoux parce que… Parce que.
Je préfère l’honnête simplicité que l’hypocrite exubérante richesse… Ici on ne s’attache pas à la futilité de l’être et du paraître, du moins c’est ce que ma naïveté me pousse à croire.
Bon ça commence à ressembler à un coup de gueule. Je m’égare.
Bref je saisi cet instant de sérénité, un pied dans le monde réel et l’autre encore dans celui des rêves, je repense pour je ne sais quelle raison à toutes les rencontres que j’ai pu faire ici, principalement des surfeurs c’est vrai, ces sourires sincères, ses poignées de mains amicales fermes et chaleureuses même parfois d’inconnus en néoprène, donnant l’impression d’attendre impatiemment de donner plutôt que de recevoir. La vie semble belle, douce, paisible à cet instant.
Un frisson me traverse le corps et me tire de mes pensées somnolentes, j’enfile directement la combi, saisi maladroitement la planche sous le bras droit, cale mon PC et des affaires propres sous l’autre et traverse le salon plongé encore dans l’obscurité.
J’ai presque honte de démarrer la voiture par peur de venir briser l’onctueux silence qu’il règne dans la rue… Les quelques palmiers qui bordent mon immeuble sont immobiles, semblent presque pétrifiés ou alors simplement endormies, toujours pas vent.
Les quartiers sont déserts, et je maudis les quelques automobilistes matinaux, j’ai l’impression qu’il me vole la vedette… J’ai mis la radio tout bas, comme pour ne pas réveiller mon entourage. Respect du voisinage ou égoïsme de vouloir garder ces instants pour moi ? De toute façon, la radio à fond ou pas, les vitres fermés, je n’aurai réveillé personne, ou peut être était-ce une partie de moi qui dormais encore…
Je rejoins le terrain vague qui sert de terrain de foot, gare la voiture au bout de celui-ci après l’avoir traversé, et m’engage à pied, sur la dune, toujours la même, qui domine timidement le spot de Ne7la. Coincé, entre les usines. J’ai quitté le monde des rêves il y a quelques minutes pour en rejoindre un autre paradoxalement bien réel. Le sable froid me gèle les pieds, J’aurai du prendre mes chaussons…
La aussi le spot est loin de l’image paradisiaque que les grosses industries du surf nous bombardent. Un plage désespérément sale, où toutes sorte de détritus, du plastique, au verre, en passant par des matières indéterminées s’entassent et se voit rejetées par l’océan, comme si il nous crachait au visage notre irresponsabilité insouciante. Sentiments de colère de tristesse et d’impuissance… Je fais toujours bien attention où je mets les pieds pour éviter une sale blessure sur une bouteille cassée ou un canette rouillée aux arrêtes coupantes.
Vers le sud, et derrière moi, des usines, des usines, en encore des usines. Touche d’exotisme : La silhouette de la fameuse grande mosquée Hassan II, la 2ème plus grande au monde et qui vient briser les courbes apocalyptiques des industries qui la précèdent. Au nord, encore quelques usines avant de laisser place à quelques Douars (Bidonville) puis aux Cabanons surplombés par les cheminées géantes de la SAMIR qui crachent des flammes telles des dragons bétonnés dissimulés dans les brumes matinales.
Encore une fois, paradoxalement, j’aime cet endroit, c’est vrai la vague de Ne7la contraste avec son entourage, je la trouve très belle. Souvent longue creuse, régulière et d’une couleur émeraude. Et je sais pertinemment que ce désordre brutal, cette honteuse gangrène humaine qui s’étale le long du littoral s’effacera des lors où mes pieds passeront dans l’autre monde, où je ne serai plus humain, mais une étrange et ridicule bête aquatique, qui maîtrise maladroitement son appendice fait de résine de mousse et de plastique. Il est 7h, je crois que mon esprit rêve encore.
Je contemple ce théâtre en attendant encore quelques minutes que l’obscurité s’efface peu à peu. Je suis seul, personne à l’eau, ni sur la plage, si un coureur qui s’éloigne…
Ça y est, je passe dans l’autre monde, et me laisse glisser lentement vers le pic, comme pour apprivoiser lentement l’océan, le réveiller en douceur, lui dire : « Salut, je suis là, tu me reconnais, je suis content de te retrouver » comme avec un gros chien lunatique à qui on offre la paume de sa main pour qu’il nous sente et nous reconnaisse.
Ça y est, le monde terrestre s’efface, je retrouve le même sentiment de liberté, de plénitude et bien être qui m’envahissait avant que mon réveil me l’enlève trop brutalement. Plus rien ne compte, je me sens bien, je suis seul à l’eau, face au soleil qui s’élève maintenant doucement au dessus des usines que je ne vois plus.
Je me laisse bercer par la houle, chauffer par des rayons encore un peu timides, comme si à son tour, c’était l’océan qui me disait bonjour à sa façon après m’avoir reconnu. Je laisse filé l’eau à travers mes doigts, J’aime à croire que si tout le monde connaissais ce sentiments de bien être qu’on éprouve à ce moment, cette humilité qui nous envahit, le monde serai plus beau, les gens seraient moins con… Ou pas… Bref, je me sens toujours privilégié à cet instant. Et c’est quand même foutrement plus efficace que de ce noyer dans la drogue ou l’alcool…
Je lâche la planche, et me laisse submergé par la douce fraîcheur vivifiante de l’eau, me laisse flotter quelques instant en regardant ma planche dérivé sereinement au rythme des clapotis à peine perceptibles. Je la pousse lentement, la fait glisser dans l’immensité du bleu qui m’entoure, avant de la chevaucher de nouveau humblement tel un fier chevalier. Silence…
L’océan m’offre en cadeau un terrain de jeu à la hauteur de mon état d’esprit : calme, serein, facile, une houle longue et espacée ne dépassant pas le 1m, pour un réveil en douceur. Mais la marée est un peu trop basse, dommage, suis-je en avance ? Ou en retard ? L’océan n’attend pas et, indulgent, me donne quand même le mieux qu’il peut à ce moment la, à moi d’en faire bon usage à condition de se méfier des quelques rochers disséminés ici et la.
Un premier train de houle s’offre à moi, je lui tourne le dos et commence une rame tranquille, sans doute trop tranquille car je ne partirai pas. Sans aucune rancune, je retourne doucement au pic, apercevant parfois, quelques compagnons à nageoires sautiller hors de l’eau.
Comme pour me laisser une seconde chance, je n’attends pas longtemps au pic pour voir venir une nouvelle opportunité d’épanouissement. Je rame donc de nouveau avec plus de vigueur, et enfin, elle accepte de me pousser. Un flash back me rappelle toutes les vidéos que j’ai regardé la veille Les épaules, les hanches, balances tes épaules et tes hanches bon sang !! Je me lève, me force à me laisser glisser le plus bas possible, le backside n’est pas mon fort, Les hanches, les épaules !! le rail se plante je sens ma main gauche effleurer l’eau, je remonte à la lèvre et dans ma tête raisonne toujours Les hanches, les épaules !! le rail opposé se plante de nouveau, et cette fois ci c’est ma main droite qui vient caresser du bout des doigts l’océan, irréelle et éphémère sensation de ces deux courbes qui suffisent à m’envoyer l’espace d’un instant au paradis. La vague mollie je m’arrête, ce fut trop bref, mais tellement bon.
Je retourne au pic toujours aussi calmement, préférant profiter de l’instant plutôt que de m’obstiner au meilleur rendement.
Les vagues reviennent, je me place calmement pour partir cette fois ci sur une droite. Plus grosse que la précédente, comme si on me laissait le temps de m’échauffer. Un peu en retard, aucun besoin de me forcer pour partir. Mais le grand bleu ne fait pas de concession, take off, bottom, je remonte au sommet de la lèvre, toujours plus à l'aise en frontside, je n’ai à peine le temps de redescendre que la vague va fermer… Tout se passe alors très vite dans ma tête, je pense au tube, à tenter de me faire enfermer tout du moins… Non je repense aux rochers… Courageux mais pas téméraire, je me laisse alors doucement sortir.
De nouveau au pic, je laisse les trains de houles me bercer, je ne sais pas ce que j’attends, rien en fait… Juste je savoure le calme, me laisse hypnotiser par un vol de goéland qui tourne autour de moi depuis un moment…
Un troisième cadeau de la mer, une longue droite s’offre à moi, à l’épaule bien tendue, l’avenir me dira même, trop tendu. Elle est belle, lisse, rapide, creuse, je ne veux pas louper cette opportunité. Je rame légèrement en biais pour idéalement me placer, elle m’emporte, take off, bottom, je remonte à nouveau sur la lèvre. Elle me laisse le temps de redescendre, et d’effectuer de nouveau un bottom. Elle se tend, je dois accélérer, je tente de pomper, gagne de la vitesse, mais pas assez. Le temps me parait long, comme ralentir Depuis combien de temps suis-je sur cette vague ? Le sommet de la lèvre frise, blanchi, je redescends brusquement dans le creux pour remonter aussi vite sur la lèvre avant qu’elle m’avale. Mon élan défi l’espace d’un instant la gravité, je m’élève, haut, bien plus haut que je ne l’aurai pensé, avant que la nature reprenne ses droits et me fasse redescendre derrière la vague. Wah quel vol !!
Et comme lorsque des fois on ouvre les yeux avant que le réveil sonne, et souvent bien trop tôt, un éclair de lucidité me rappelle que je dois sans doute rentrer… Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, de combien de temps suis-je resté à l’eau…
Je pose le premier pied au sec sur la plage, un bruit lointain m’envahit, qui semble venir de partout à la fois, étrange sensation d’entendre de nouveau le réveil qui m’avait si injustement enlevé des bras de Morphée. Je commence à distinguer à nouveau les usines, les détritus qui jonchent la plage. Second pied au sec, le bruit m’envahit, les camions, les klaxons, les machines infernales qui grondent dans les ventres bétonnés des hideuses industries.
Je viens de me réveiller pour la seconde fois de la journée, sans pour autant m’être de nouveau endormi. J’ai quitté le monde des rêves ce matin à 6h30 pour me replonger dans un autre une 45min plus tard, et en ressortir de nouveau 40min après. Je me sens bien, serein, j’ai l’impression de ressentir des choses que les autres ne savent pas, ne peuvent pas savoir, car ils sont aveuglés par le monde qui l’entoure sans connaître l’essence même des choses. Ou alors comme si j’étais derrière un masque « Vous ne me voyez pas, moi je vous vois, et je sais » Enfantine prétention de ma part, mais j’aime ça.
Le surf, l’océan, me remettent les idées en place, et m’aide à me sentir bien, j’ai l’impression que mon corps et mon esprit sont en parfaites symbioses, et je me conforte dans l’idée qu’on est bien peu de chose face à la nature qui nous entoure, et que si on l’adopte, elle nous le rend fichtrement bien.
La journée a bien commencé, un dernier regard sur la mer comme pour dire « au revoir, à bientôt et merci » Vous allez peut être me prendre pour un fou, mais une fois seul, j’aime parler au chose, et d’une naïveté enfantine j’aime croire que ces choses m’entendent et me comprennent…
Je rejoins mon véhicule, il est 7h50, j’ai 10min pour me changer et me rendre 300m plus loin, sur mon lieu de travail…
(Désolé pour les photos : Je sais pas pourquoi la GoPro n’a pas voulu filmer ce matin, donc mode « photo » toutes les 2scd + Obscurité, ça rend pas terrible…)