ERIKA, La catastrophe et l'affaire.Rappel des faits :11 Décembre 1999: Déferlantes de 9 à 14 mètres dans le Golfe de Gascogne12h 00 : L'Erika prend 15° de gîte côté droit.
13h 30 : Tentative de reprise en main de la situation ; réduction de la vitesse et vidage d'un ballast côté droit.
14h 08 : Appel de détresse reçu simultanément par le CROSS d'Etel et les Garde-côtes britanniques.
14h 18 : Le capitaine prend l'initiative de changer de direction (vers Brest) sans en avertir les autorités. Les premiers flots de pétrole s'échappent de la coque.
14h 30 : Les premières fissures apparaissent dans la structure du pont du navire. Le ballast précédemment vidé se remplit de fuel, ce qui traduit la rupture d'un cloison nécessaire à la structure du bateau.
14h 34 : Le capitaine envoie un télex au CROSS d'Etel précisant qu'il n'a pas besoin d'aide et un autre à PANSHIP mentionnant les graves fissures constatées dans la structure. Il signale à un navire militaire britannique les avaries subies. L'attaché naval en poste à Paris est informé de la situation.
14h 48 : Le CROSS d'Etel informe le COM de Brest qu'un pétrolier de 20 000 tonnes est en détresse.
14h 53 - 15 h 10 : Le capitaine refuse coup sur coup les offres d'assistance du CROSS et du Fort James, le bateau militaire britannique qui croise sur zone.
15h 16 : Le capitaine annule son SOS passé à 14 h 08 et le passe à un stade d'alerte inférieur (PAN)
12 Décembre 199905 h : Voie d'eau déclarée, les tôles s'arrachent en grand nombre. Le flux de pétrole est maintenant permanent et soutenu.
06 h : Message de détresse avec demande de secours immédiat. Le COM de Brest ordonne à ses hélicoptères et au remorqueur de haute mer stationné à Brest d'appareiller immédiatement sur zone.
07 h 35 : Début de l'hélitreuillage des membres d'équipage.
08 h 38 : L'Erika se brise en deux. À ce moment, on estime que 7 à 10 000 tonnes de pétrole se sont déjà déversées en mer.
09h 40 : Les derniers membres d'équipage qui ont déjà évacué le navire à bord des chaloupes de sauvetage sont hélitreuillés.
10h 45 : Le Préfet maritime de Brest évoque pour la première fois le problème de la pollution.
12 h : Début de la tentative de remorquage par l'Abeille Flandres. Les nappes de pétrole commencent à se fractionner.
18 h : Mise en œuvre du plan POLMAR mer.
Dans la nuit, l'avant du bateau sombre. L'arrière est pris en remorque, mais sombre également le 13 décembre à 15 heures.
Les deux segments de l'épave reposent par 120 mètres de fond, à environ 10 km l'un de l'autre.
POLMAR : Plan de déploiement des moyens maritimes et aériens de lutte contre les pollutions.
Vidéo de Thalassa sur le remorquage de L'Erika par l'Abeille
Le 23 décembre soit 11 jours après l'accident, les premières nappes touchent la côte du Finistère sud.
Les 4 jours suivants, Les îles de Groix, Belle-Ile, et de Noirmoutier sont également touchées annonçant un afflux majeur imminent. Tout le littoral de la Loire-Atlantique est atteint en quelques heures par une couche visqueuse de 30 cm d'épaisseur par endroits.
Entre le 27 et le 31 décembre, c'est au tour de la Vendée et de la Charente-Maritime de recevoir les arrivages de galettes.
Environ 20 000 tonnes de fuel (chiffre validé par le CEDRE) se sont déversés en mer sur les 31 000 que contenaient les soutes. 10 000 ont été pompées dans l'épave et 1000 tonnes ont été récupérées à la surface de la mer avant qu'elles n'atteignent les côtes.
400 km de côtes ont été touchées par la marée noire de l'Erika du Finistère à la Charente-Maritime.
Impacts sur la faune et la flore:L'impact d'une marée noire varie en fonction du tonnage de pétrole déversé, de sa toxicité, de la profondeur et de la géographie des lieux, de la faune et la flore présente... Il est sûr qu'aucun organisme vivant n'échappe à l'intoxication du fuel.
Les oiseauxLa marée noire de l'Erika est la plus meurtrière pour les oiseaux. Si on la compare à celle de l'Amoco Cadiz, elle est 130 fois plus meurtrière en terme de rapport quantité de pétrole déversé en mer (Erika : 20 000 t estimée) / nombre d'oiseaux récupérés (77 000), soit 3.85 oiseaux/tonne. Pour mémoire, l'Amoco Cadiz (1978) avait répandu 230 000 t de pétrole et provoqué l'échouage de 4 000 oiseaux, soit 0,03 oiseau/tonne. La Ligue de Protections des Oiseaux nous signale que 61 000 oiseaux mazoutés ont été recueillis, morts ou vivants. Le nombre réel d'oiseaux tués par la marée noire est certainement encore bien supérieur, car beaucoup n'ont pas atteint la côte. On peut estimer qu'il y en a eu 2 à 3 fois plus, soit environ 200 000 à 300 000 victimes.
L'Érika sur le site de la Ligue de Protection des oiseaux Les mammifères marinsAucun mammifère marin mazouté n'a été recensé. Les cétacés abondants (dauphin commun, globicéphale noir) n'ont pas présentés de diminution d'effectifs significative après la pollution.
Impact du nettoyage sur le littoral (source CEDRE: Centre de Documentation de Recherche et d'Expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux)La végétation ayant subi les effets des opérations de nettoyages ou des dégradations annexes, est affectée de manière très variable en termes de couverture végétale ou de composition floristique. Le Cedre constate :
- Une dégradation du sol, de la végétation dus notamment aux accès et installations de chantiers, aux circulations motorisées, au stockage temporaire des déchets mazoutés...
- Un déficit sédimentaire, érosion, dégradation des dunes dus à l'extraction de sédiments, à l'utilisation massive et non contrôlée de cribleuses,... (230 000 tonnes de produits pollués récupérés avec entre autre du fioul mais aussi galets, sable, vase, terre, algues, bâches, débris divers, eau,...)
- Le décapage de la flore et éclatement de la roche par la mauvaise utilisation du lavage haute pression.
L'impact économiqueLe coût de la marée noire a été évalué à 900 millions d'Euros, dont 50% au titre du préjudice subi par le secteur touristique.
Sur cette somme selon la réglementation en vigueur à l'époque:
180 millions relèvent de la prise en charge par le
FIPOL (Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures)
30 millions de la responsabilité de TOTAL
13 millions de celle du propriétaire du navire.
Le solde de 680 millions d'Euros revenait à l'État, payeur en dernier ressort.
Total aurait donc pu se contenter de ses obligations légales et n'assumer que 3% du coût de la catastrophe. Mais grâce à la mobilisation de l'opinion publique et les pressions exercées par la sphère environnementaliste,Total a été contraint d'« aller au-delà du contrat ».
Total a pris en charge une partie du coût du nettoyage des côtes et surtout le pompage du fuel restant dans l'épave.
En cela l'Erika a constitué une bascule dans la dichotomie entre responsabilité légale et responsabilité à l'égard de la société civile et de l'opinion publique.
En mai 2003 le coût de l'accident pour Total s'élevait à 150 millions d'euros soit 15% du montant des dommages au lieu des 3% auxquels la Loi l'obligeait.
Le rapport Touret et GuibertCe premier rapport sur le naufrage du pétrolier a été rédigé sous l'autorité de Georges Touret, administrateur général des Affaires maritimes et Jean-Louis Guibert, secrétaire général de l'Institut français de navigation et remis au gouvernement de Lionel Jospin en janvier 2000. Ce document de soixante pages met en lumière certaines aberrations du transport maritime et sur les pratiques douteuses des pavillons de complaisance.
Selon ce rapport :
* Il n'y a pas de faute de l'équipage. Les experts estiment que le « commandant disposant d'une solide formation maritime et d'une expérience de plus de quinze ans a rempli correctement ses fonctions ».
* L'état de la mer ne présentait pas de réel danger pour un navire de cette importance. La tempête a été un « facteur aggravant » mais seulement « conjoncturel » auquel le bateau « aurait dû pouvoir résister ».
* Le navire a coulé en raison d'une rupture d'une cloison interne entre deux citernes à cause de la « corrosion d'oxydation foisonnante et de plaques de rouille en cours de détachement ». Les fissures se sont alors propagées sur toute la coque entraînant la cassure du navire.
* Le bateau a changé huit fois de nom depuis sa mise à l'eau en 1975.
* Les rapporteurs ne sont pas parvenus à savoir qui était le véritable propriétaire de l'Erika. Il leur fut difficile de s'y retrouver entre le propriétaire apparent — Tevere Shipping, une simple coquille vide enregistrée à Malte — la société de gestion nautique basée à Ravenne en Italie, et l'affréteur — une société helvético-bahamienne — et le sous-affréteur, le groupe Total SA. Les rapporteurs soupçonnent que les véritables propriétaires pourraient être des armateurs grecs ou napolitains.
* Malte, faute d'avoir un corps d'inspecteurs suffisant (douze inspecteurs pour mille trois cents navires) « s'en est remis à la société de classification ».
* En novembre 1999, la société de classification italienne RINA avait ordonné différents travaux qui n'ont jamais été effectués.
* Depuis 1996, l'Erika avait été contrôlé sept fois dans les ports d'escale, mais sans aucun contrôle des structures ; cependant lors de l'année 1999, la firme américaine Mac Kenzie, lui avait donné la note de un sur cinq, le considérant donc en piteux état
Les procèsPremier procès: Le début du premier procès a lieu le 12 février 2007 afin de tenter d'identifier les responsabilités. Parmi des accusés figurent notamment
le propriétaire italien de l'Erika, Giuseppe Savarese, et son gestionnaire, Antonio Pollara,
le commandant indien du navire Karun Mathur,
la société de classification italienne Rina,
quatre responsables des secours à terre accusés d'avoir multiplié les dysfonctionnements,
la société Total, un de ses directeurs juridiques et deux de ses filiales.
Le procès est marqué par la présence de candidats à la présidentielle et de personnalités politiques, notamment de communes touchées par la catastrophe. Parmi ces personnalités, outre Dominique Voynet, Philippe De Villiers, président du Mouvement pour la France et surtout ici président du Conseil général de Vendée et Corinne Lepage, avocate et présidente du mouvement Cap 21 (Citoyenneté, action, participation pour le XXIe siècle).
La Coordination marée noire[18] est également partie civile.
Le procès a duré quatre mois d’audience (pour sept ans d’enquête et quinze personnes poursuivies) ; il réunissait quarante-neuf témoins et experts et une cinquantaine d’avocats. C'est le premier procès de la sorte en France ;
il s'est terminé le 13 juin 2007.
Le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement le 16 janvier 2008.
Le jugement, long de près de 300 pages, détaille l'historique du navire, sa gestion, les circonstances ayant entraîné son naufrage, et les fautes que le tribunal considère comme ayant été commises par les différents intervenants.
- TOTAL SA : convaincu d'imprudence en première instance, le géant pétrolier avait été condamné pour pollution à l'amende maximale de 375.000 euros. Les juges lui avaient reproché de n'avoir pas tenu compte de "l'âge du navire", près de 25 ans, ni de la "discontinuité de sa gestion technique et de son entretien". Le groupe avait affirmé lors du procès que l'Erika était affecté d'un "vice caché", réfutant l'idée que le "vetting", inspection des navires par les compagnies pétrolières, lui conférait une responsabilité. Ils avaient également été condamnés à verser solidairement 192 M€ de dommages et intérêts aux parties civiles. .
- LA SOCIETE DE CLASSIFICATION ITALIENNE RINA : coupable du délit de pollution, elle avait été condamnée à l'amende
maximale de 375.000 euros. Le tribunal avait estimé qu'elle avait renouvelé "dans la précipitation" le certificat du navire,
malgré "l'état préoccupant des structures". Le Rina accusait le capitaine d'avoir choisi "un mauvais cap" et assurait que le bateau aurait été fragilisé par un choc avec "un objet flottant non identifié.
- L'ARMATEUR ET LE GESTIONNAIRE, LES ITALIENS GIUSEPPE SAVARESE ET ANTONIO POLLARA: coupables du délit de
pollution et condamnés chacun à l'amende maximale de 75.000 euros. Le tribunal avait jugé qu'ils avaient, "de façon concertée, pour des raisons de coût", négligé le pétrolier, provoquant sa "corrosion généralisée". Giuseppe Savarese affirmait n'être qu'un homme d'affaires, ayant délégué la sécurité du bateau à Pollara, ce dernier estimant que le bateau avait en fait été victime du "slushing": de fortes oscillations du pétrole dans les cuves, provoquées par la tempête, qui auraient distordu la coque.
Les membres des secours et le capitaine du pétrolier avaient, en revanche, étaient mis hors de cause.
Le 25 janvier 2008, Total a fait appel de cette condamnation, tout en versant les dommages-intérêts.
Le procès en appel :Total, Rina, le gestionnaire et l'armateur ayant fait appel de leur condamnation tandis que le parquet ayant lui fait appel de la relaxe
des deux filiales du groupe pétrolier, Total Petroleum Services Limited (TPS) et Total Transport Corporation (TPC) le procès en appel débuta le 5 octobre 2009 devant la cour d'appel de Paris.
Les membres des secours et le capitaine de l'Erika, relaxés en première instance, ne comparaîtront donc pas lors de ce procès.
La cour d'appel de Paris a donc rendu, ce mardi 30 mars, sa décision dans le procès du naufrage du pétrolier Erika. Elle a confirmé et aggravé le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 16 janvier 2008:
- Elle retient la responsabilité pénale de tous les acteurs de la chaîne du transport maritime : de l'armateur du navire, Giuseppe Savarese, à la compagnie pétrolière - Total SA - en passant par le gérant technique et la société de contrôle Rina.
- Elle consacre le "préjudice écologique" qui avait été reconnu par le jugement du tribunal, en lui donnant une définition extensive.
- En conséquence, le cour d'appel a porté à un peu plus de 200 millions d'euros les indemnités accordées aux parties civiles (contre 192 millions d'euros en première instance), y compris les sommes déjà réglées par Total, dont celle de 153 millions due à l'Etat. Elle a alloué en outre plus de 3 millions d'euros pour frais de procédure.
Sur la responsabilité pénale. La cour d'appel confirme les peines prononcées en première instance :
75 000 euros d'amende contre Antonio Pollara et et Guiseppe Savarese, respectivement gestionnaire et armateur du navire;
375 000 euros d'amende contre les sociétés RINA et Total.
En ce qui concerne le groupe pétrolier, la cour estime que Total a commis "une faute d’imprudence en relation de causalité avec le naufrage".
Sur le préjudice écologique. La cour confirme que ce préjudice existe pour les collectivités territoriales et les associations de défense de l'environnement, mais elle l'étend.
En première instance, le tribunal avait reconnu ce préjudice à deux des quatre départements demandeurs, le Morbihan et la Loire-Atlantique. Mais il avait écarté de son bénéfice les régions et les communes au motif qu'elles n'avaient pas apporté la preuve de leurs compétences spéciales en matière d'environnement.
La cour considère qu'il "suffit qu'une pollution touche le territoire des collectivités territoriales pour que celles-ci puissent réclamer le préjudice direct ou indirect que celle-ci lui avait personnellement causé". La cour octroie donc à chacune des collectivités territoriales touchées par la marée noire de décembre 1999 une indemnité pour préjudice écologique.
Enfin, pour les associations de défense de l'environnement, elle confirme qu'elles peuvent bénéficier elles aussi d'une réparation pour préjudice moral et écologique.
Sources du dossier :
Le télégrammeLe MondeThalassa/fr3L'affaire ErikaLibération