« Dis, Arno, tu viens avec moi voir Barland cet après-midi ? ».
« Ben, tu sais les shops, je les ai fait toute la semaine dernière alors … »
« Nan, l’atelier Barland, j’ai rendez vous avec Philippe Barland pour un projet ».
« J’arrive ! ».
A peine sorties de l’autoroute nous voici devant les ateliers. D’un côté le shop proprement dit avec ses racks où s’alignent par ordre de grandeur une multitude de planches, de l’autre l’atelier mécanique, l’autre activité de l’entreprise familiale. Puis plus en recul, un large chemin débouchant sur un immense atelier. Dés que les portes sont franchies la première chose que l’on peut voir est le nombre impressionnant de pains de mousse. Parfaitement rangés de façon verticale et horizontale ils sont partout présents. Les lieux sont calmes et seules quelques silhouettes rentrent parfois dans mon champ de vision.
Un bruit de scierie m’attire, je m’approche et tombe nez à nez avec une sorte de gros wagon vert. Dedans et visible par une fenêtre, je vois un pain de mousse se faire dégrossir par une fraise automatisée. Je comprends que je suis devant la première machine de pré-shape jamais conçue. Je demande confirmation à la première personne passant par là. Cette dernière me confirme, c’est bien elle.
Timidement je m’enfonce un peu plus dans cet immense atelier. Aux stands de shape alignés et aux outils disposés à proximité, je comprends que je me trouve dans la salle de ponçage. L’espace est ouvert et le système de fixation des planches sur les stands ne manque pas de m’étonner. Il s’agit de ventouses branchées sur un système d’aspiration. J’imagine malgré mon peu d’expérience dans le domaine le confort de ce type d’installation. A l’un des stands s’effectue la pose d’un boîtier. Là aussi le système de dépression est choisi pour la mise d’un gabarit où viendra se caller la défonceuse. Les gestes sont surs et rapides. Je m’approche après y avoir été invité et je commence à confronter, pauvre amateur que je suis, mon expérience avec celle de mon interlocuteur. Nous parlons technique et je me fais expliqué en détail cette technique simple mais efficace de gabarit.
Non loin de là mon ami revient accompagné d’un barbu aux cheveux en bataille. La stature est droite et le regard pénétrant. Ce type là à l’air d’être un sacré personnage. Il me tend une main et accompagne son geste d’un simple : « Philippe. ». Je suis donc en présence du successeur d’un des tous premiers shapers Français. « Venez voir mon dernier Joujou. » La voix est forte, posée et empreinte d’un fort accent régional. Je comprends instantanément que l’enregistreur audio que j’ai dans mon sac ne servira pas aujourd’hui. Je décide donc de me laisser guider et de mettre pour une fois de côté mon rôle de fouineur pour profiter pleinement de la rencontre. Nous suivons donc l’artisan shaper qui nous mène dans la salle de glass.
Je n’ai jamais vu une salle comme celle-ci. Très haute en plafond elle dégage un sentiment de clarté immense. L’odeur de la résine est bien là mais n’est pas entêtante : un léger courant d’air artificiel vient traverser la pièce et chasser cette odeur si particulière. A droite comme à gauche des stands de glass sont disposés le long de la pièce. Dans le fond de celle-ci s’alignent pas moins de quatre stands. Mon regard fait de nouveau le tour de la salle et je comprends devant l’absence de tente ou de four à ultraviolets que la résine U.V n’est pas employée ici. Philippe Barland se poste alors devant une imposante planche réalisée toute en longueur.
« Voici mon dernier gun ! » Effilée et offrant un rocker important mais progressif sur une très longue partie de la planche, cette planche trône au milieu de la pièce. Son concepteur nous explique alors sa future utilisation. Je tends l’oreille attentif et j’apprécie le discours : il ne comporte que des éléments de glisse pure. Comme si le shape en lui-même était secondaire et que nous revenions au moins pour un temps au surf même. Idée paradoxale si l’on prend le temps de réaliser dans quel lieu nous sommes. Bientôt le pain de mousse est recouvert d’une couche de tissu.
Mais nous sommes déjà repartis dans un autre secteur de l’atelier. Là aussi le maître des lieux nous arrête devant un autre de ses prototypes. Le shape est généreux et tout dédié à la glisse facile. Nous sommes loin des standards de la région qui se veulent effilés et pointus. La planche est ronde sans être un egg, approche une longueur de mini-malibu et elle équipée de cinq inserts de dérives rendant possible tous les montages actuels. De prototypes il en sera beaucoup question durant cette visite. Le shaper ne semble pas se cantonner à des modèles ayant fait leur preuve mais semble au contraire être dans une recherche constante. Il nous expliquera qu’il essaye de trouver de nouvelles idées, de nouvelles formes. Bien évidemment, Il s’appuie sur son expérience mais n’hésite pas à se lancer dans de nouvelles aventures. Nous nous attarderons ainsi sur les fameux modèles « memory forms » .
Nous regagnons la salle de glass pour voir les derniers coups de squeez sur le prototype de gun. Mon ami expose alors son projet. Résidant près du lac Léman, il rêve d’un Stand Up Paddle lui permettant de naviguer sur ce dernier tout en lui offrant la possibilité de venir avec ce même SUP taquiner la houle Landaise lors de son séjour annuel et estival. J’observe Philippe Barland, il écoute silencieux, son regard est fixé sur un point invisible. On sent nettement que l’homme réfléchit, pèse, soupèse déjà diverses solutions. Une fois l’explication donnée, le shaper résume en mots simples le principe de la planche. Encore une fois je suis étonné : la place n’est faite que pour la glisse et ses sensations. Ce n’est qu’à la fin nous parlerons d’une manière détachée de longueur, largeur et épaisseur d’une possible future planche.
A ma demande nous finirons cette rencontre par un passage au shop où je me ferais expliquer une planche qui m’avait fortement intriguée : L’egg fish. Cette planche qui présente bien les courbes d’un egg des plus classiques mais diffère de ce dernier par un tail de fish miniature ; Comprenez par là que le swallow certes bien présent et représentant bel et bien la fameuse forme de queue d’hirondelle mais semble être découpé dans un round tail. Ne comprenant pas trop les avantages d’un tel montage je questionne sur ce sujet le shaper : « Ben la glisse bien sur ! ». Il m’expliquera alors que cette planche est un très bon compromis pour les surfers n’ayant plus la forme de jeunes de vingt ans et cherchant avant tout à prendre des vagues sans forcement enchaîner figures sur figures.
Nous en viendrons ensuite à discuter du shape français en général et fidèle à sa réputation, il aura comme la large majorité de ses confrères shapers artisans un discours sans pitié sur certaines productions asiatiques. Le ton est toujours posé mais le langage est fleuri et ponctué de jolis noms d’oiseaux. Je regarde ma montre pour la première fois, cela fait deux heures que nous sommes là. Il est temps de laisser le shaper à son travail. En serrant la main de Philippe Barland je me suis promis une chose : un jour je reviendrais dans ce lieu chargé d'histoire revoir ce drôle de bonhomme et j’essaierais de faire avec son aide l’une de mes plus belles interviews.
Merci pour l'accueil et la rencontre. Et merci à Olivier, le surfer Suisse, qui m'a permis ce moment.
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