Nous sommes allés à la rencontre de l’écrivain Hugo Verlomme, un homme qui aime "courir les vagues" comme il le dit joliment, prétexte à communier avec l’océan. Ce qu’essaye de faire partager Hugo, homme de lettres à la bibliographie fournie, c’est le retour à l’océan, le respect de la mer.
Photo:Masurel-Poullenot/Aquashot
Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, romans, essais, dont une bonne partie traite de la mer. On le connaît pour son roman-culte Mermere, mais aussi pour des romans-jeunesse : L’Homme des vagues, Le fantôme des plages, ou encore Le Guide des voyages en cargo. Il est également l’auteur du premier livre sur le surf en France (Cowabunga, Surf Saga, 1976) dans lequel on trouvait déjà une double page sur ce bodysurf qui lui tient tant à cœur. Le tout dernier album, Passion bodysurf (Éditions Yago), coécrit avec Marc Muguet, montre de façon spectaculaire (grâce aux photos d’un autre bodysurfeur, Laurent Masurel) que ce sport/art est un nouveau phénomène qui prend de l’ampleur.
Cette rencontre avec Hugo a suivi la session du 28 septembre 2008 de La Confrérie des Pieds palmés à laquelle nous avons participé à Hossegor, une bonne occasion de rencontrer l'écrivain et quelques-uns de ses amis palmés.
Kowabunga! surf saga (1976)
Passion Bodysurf (édition Yago-2008)
Surfrepotes: Bonjour Hugo, peux-tu nous raconter tes premiers pas dans les vagues et ce qui t’a amené au bodysurf ?
En fait, c’est le bodysurf qui m’a pris, qui m’a choisi, petit enfant, dans les vagues d’Hossegor. Voilà d’où vient mon amour immodéré de l’océan. Je galopais sur le sable de la Gravière au début des années 1950. C’était une plage du bout du monde. Pas de surf et plein de vagues, des bois flottés à perte de vue, des marsouins, des puces de mer… Ce qui est extraordinaire avec le bodysurf, c’est qu’il est instinctif. Il suffit de mettre un enfant dans les mousses pour qu’il se lance spontanément. C’est la glisse originelle, la plus pure, celle d’où découlent toutes les autres. C’est la seule glisse que l’on puisse pratiquer sans aucun accessoire ! Mes « cousins » et moi, nous nous jetions dans les vagues, en partant tout droit, les bras le long du corps. Mon arrière-grand-oncle, Yves Margueritte, se souvient d’avoir pratiqué le bodysurf (qui ne portait pas de nom) dès 1917 dans la passe de Capbreton !
En 1965, nous avons fait partie de l’Atlantic Surf Club d’Hossegor, créé par Jean-Paul Dudouyt. Nos planches étaient d’énormes tankers venus de Californie, qu’il fallait porter à deux. Nous avons aussi pratiqué le « plankie », fine planche de contreplaqué marine, spatulée, ancêtre du bodyboard, permettant déjà de glisser. Mais notre vrai outil magique, celui qui nous permettait d’affronter les vagues, c’était notre paire de palmes, de bonnes vieilles Cressi flottantes.
Hugo sur une jolie droite. Photo: Masurel-Poullenot/Aquashot
Surfrepotes: Le bodysurf est-il un sport élitiste réservé aux MNS, nageurs ou surfeurs de bon niveau, et watermen avertis ?
En fait, c’est à l’envers : pour être un bon surfeur, MNS, waterman ou autre, il faut nécessairement être un bon bodysurfeur, puisque le body est à l’origine de tout : capacités physiques, natation, connaissance de la mer et des courants, lecture de vague, placement, puissance de démarrage, glisse… Beaucoup d’animaux (poissons, cétacés, mammifères marins, tortues…) bodysurfent.
Dans les premiers temps du surf, il fallait forcément savoir bodysurfer, puisque le leash n’existait pas ; la moindre chute supposait la perte de la planche et donc un retour au bord en body. De même, c’est une sacrée sécurité qui épargnerait bien des noyades ; ainsi, lorsqu’un baigneur ne parvient pas à rentrer au bord, il peut bien souvent se lancer dans une vague et se retrouver sur le sable en quelques secondes.
Sur les plages européennes, ce n’est qu’au cours des années 1990 qu’on commence à voir des bodysurfeurs partir vraiment en travers, comme les surfeurs. Depuis, les compétitions nous permettent de constater chaque année à quel point le niveau s’élève. Ce qui est génial avec le bodysurf, c’est qu’on peut se faire plaisir dans toutes les conditions et à tout âge, chacun selon ses capacités. Il permet en outre de pénétrer et d’admirer le tube des vagues, même petites, vagues inaccessibles aux surfeurs debout. Il suppose un bon niveau de natation et une connaissance des dangers de la mer. C’est aussi un moyen d’améliorer ses performances et sa connaissance de l’océan, le tout avec la sensualité indescriptible des vagues qui nous caressent de la tête aux palmes !
Surfrepotes: Y a-t-il une différence entre "l’esprit" du bodysurf et celui du surf ?
Holà oui ! Bien sûr, il existe une grande perméabilité entre surf et bodysurf, et la plupart des amateurs pratiquent les deux, mais on voit de plus en plus de puristes du body qui ne touchent plus à une planche. Au-delà du plaisir de surfer avec le corps seul, il y a là un vrai retour aux sources qui séduit de nombreux surfeurs lassés du surf-business, du cirque des compétitions à grand spectacle qui sentent le fric et la frime macho à plein nez.
Il y a 20 ans à peine, lorsque deux surfeurs s’apercevaient sur une plage, ils allaient l’un vers l’autre pour échanger, partager. Aujourd’hui, les surfeurs s’évitent, se méprisent souvent, quand ils ne se tapent pas dessus. En bodysurf, on reste roots. C’est la convivialité, le respect dans l’eau, la camaraderie, la solidarité, le jeu et l’émulation, qui priment. Des valeurs que l’on retrouve dans la confrérie des Pieds Palmés ( http://www.lespiedspalmes.com ) que nous avons créée, Marc Muguet et moi-même.
Les pieds palmés. Photo: Masurel-Poullenot/Aquashot
Avec très souvent des invités connus et moins connus tous unis par une même passions.... Photo: Masurel-Poullenot/Aquashot
Surfrepotes: Quel est ton point de vue sur le surf tel qu’il est vécu et médiatisé de nos jours, et sur le surf bizness ?
Personnellement je vis mal les vagues surpeuplées et l’esprit du surf aujourd’hui, car il s’est engraissé sur l’image d’un esprit rebelle et proche de la nature, mais en réalité le surf est surtout un produit d’appel pour vendre des vêtements fabriqués à l’autre bout du monde. Il y a tellement d’urgences écologiques et climatiques… On s’attendrait à trouver les surfeurs, les grandes marques, en première ligne. Il n’en est rien. C’est non seulement triste, mais c’est même stupide de leur part sur le plan marketing ! En participant de façon active à la défense des océans, par exemple, ils pourraient améliorer leur image et toucher une nouvelle clientèle.
Mais le surf est un sport égoïste et égocentrique, c’est toujours : « ma vague, ma planche, mon tube, mon spot… ». Peut-être le surf est-il devenu trop médiatisé, glamour et facile d’accès. On loue une planche Bic et on se jette à l’eau n’importe où, n’importe quand, sans connaître aucune règle de conduite. Le résultat est souvent navrant et des spots entiers sont gâchés par ignorance. J’en viens à rêver d’un temps où n’existeraient plus ni combinaisons, ni attaches (comme dans les années 1970). Cela ferait immédiatement un tri dans l’eau !
Surfrepotes: Les surfeurs et leur rapport à l’océan… L’écologie, un sujet qui te tient à coeur…
Franchement, dans leur grande majorité, les surfeurs ne sont pas du tout écolos. Qu’importe l’état de la mer, tant qu’il y a des vagues… Et il y aura toujours des vagues, même si la mer est morte et polluée. Le jour nous avons organisé une manif à Capbreton pour protester contre le dragage des boues polluées du port, rejetées pendant des jours sur la plage de Santosha, c’était un dimanche, mais il se trouve que les vagues étaient belles. Et que croyez-vous qu’il arriva ?…Rares furent les surfeurs qui choisirent de rater quelques vagues pour venir défendre cet océan qu’ils utilisent sans même y penser.
J’ai la conviction que l’Océan est un organisme vivant, qu’il possède une conscience. L’eau est à l’origine de la vie. Lorsque je me baigne ou que je bodysurfe, j’ai l’impression d’entrer dans le plus grand temple du monde, je me mets en symbiose avec la conscience océanique ; les vagues deviennent vivantes, avec leur personnalité, leur histoire, leur humour, parfois, et surtout leur sensualité. Le bodysurf est une glisse sensuelle, proche des éléments. Protéger l’océan, c’est nous protéger nous-même, une priorité qu’il faudrait enfoncer à coups de pioche dans la tête de ces surfeurs (et autres) qui utilisent l’océan comme un simple terrain de jeu.
Surfrepotes: Pour en revenir au bodysurf, tu nous as montré deux prototypes de palettes ou handboards en PU/résine, peux-tu expliquer l’intérêt d’un tel support ?
Hugo et ses handboards.
Le seul outil vraiment important pour le body (hormis le maillot !), ce sont les palmes. Il y a d’ailleurs une explosion de nouveaux modèles, y compris des modèles spécifiques pour le bodysurf, et je m’en réjouis. (Pour seul conseil, je dis souvent que la qualité numéro 1 d’une palme c’est de ne pas faire mal aux pieds !). Depuis l’année dernière, j’ai expérimenté de temps en temps un prototype de palette fait par un voisin, qui est nettement plus grand que les modèles habituels ; j’ai parfois obtenu des résultats fulgurants. Dans des vagues molles et un peu ennuyeuses, on peut gagner de la vitesse, remonter des sections, opérer de vrais virages. Dans les vagues creuses, le rail tient dans la pente, on gagne de la vitesse et l’on accroche le tube de façon spectaculaire, au point d’avoir parfois le corps sorti de l’eau ! Le handboard permet de réaliser des sorties de tubes, rares en bodysurf. J’ai trouvé que l’intérêt de cet outil c’est aussi de faire découvrir des sensations, des figures, des possibilités, qu’on n’avait pas envisagées avant. Ce qui peut permettre d’améliorer sa propre pratique du bodysurf « pur ». Mais bien sûr, le kif ultime n’est-il pas de pouvoir surfer une vague sans rien ?
Surfrepotes: Cette année nous assistons à un nombre croissant de bodysurfeurs à l’eau, ça en est même assez impressionnant sur Hossegor et Anglet ; comment vois-tu l’avenir du bodysurf en France et son évolution ?
Le bodysurf explose depuis l’an 2000. Les deux livres que j’ai écrits (le premier avec Laurent Masurel, le second avec Marc Muguet), y ont contribué, ainsi que les compétitions comme le Trophée Willy Cote ou la Coupe de France, ou encore les excellents résultats obtenus à Hawaii par des bodysurfeurs français (Laurent Masurel, David Dubès, récemment Fred David, arrivé 2e) au « Pipeline Classic », face aux plus grands surfeurs et watermen hawaiiens ou américains. On voit de plus en plus de bons bodysurfeurs toute l’année à l’eau. Souvent des gens intéressants, avec un parcours, parfois de jeunes nageurs ou sauveteurs. C’est un sport/art créatif, qui est en train d’écrire ses lettres de noblesse et auquel se livrent les meilleurs surfeurs mondiaux (Laird Hamilton, Kelly Slater, Tom Curren, Mike Stewart, parmi bien d’autres) ainsi que des nageurs olympiques américains et français. C’est dire qu’il y a un extraordinaire vivier dans la nouvelle génération et que le bodysurf n’a pas fini de nous épater !
Laurent Masurel,Marc Muguet,Hugo Verlomme. Photo: Masurel-Poullenot/Aquashot
Surfrepotes: En quoi consiste la "Confrérie des Pieds palmés"?
Au départ, c’est un délire que nous avons élaboré ensemble, avec mon ami Marc Muguet, bodysurfeur, nageur de compétition, sauveteur et pilote d’hélico. C’est l’envie informelle de réunir tous ces gens qui aiment l’océan et les vagues, qui ne sont pas forcément surfeurs, et qui n’ont jamais d’occasion de se retrouver ensemble. J’avais demandé à PPDA de la parrainer, parce que c’est un acharné de la baignade par tous les temps et qu’il a accompli de beaux exploits à la palme. Nous avons donc organisé quelques sessions, sur les plages d’Hossegor, avec petits-déjeuners puis un plouf en commun, au cours duquel nous nous mettons tous à l’eau. Les gens adorent ! Cela crée une formidable connivence et convivialité. Nous avons dans nos rangs des surfeurs pros, des sauveteurs, des watermen, des nageurs médaillés, mais aussi des personnalités des arts ou du sport, des artistes, des anonymes, et cela fonctionne très bien sur un plan ludique et fraternel.
Surfrepotes: Pourrais-tu nous éclairer sur ta notion de "retour à l’océan" ?
Quelques réalités sur lesquelles tout le monde est d’accord : le niveau des eaux monte de façon alarmante partout sur la planète, la météo se détraque et en même temps, la majorité des humains vit à proximité du littoral. Érosion, inondations, pluies diluviennes, crues, submersions, fonte des glaces, les eaux ont commencé à envahir de nombreuses terres habitées, et ce n’est qu’un début. Des bouleversements majeurs sont prévus à l’échelle de ce siècle. Le phénomène est largement entamé, mais on fait comme si de rien n’était et l’on continue même à construire en front de mer !
Ne faudrait-il pas réfléchir d’urgence aux façons dont on pourrait océaniser le monde et l’humanité ? Réapprendre à vivre avec l’océan, au lieu de nous en protéger. Dans un futur proche, la montée des eaux va radicalement transformer la géographie de la Terre et rayer des îles et des territoires entiers de la carte, créant ainsi des millions d’écoréfugiés. Notre monde va être profondément bouleversé par la présence de plus en plus grande de l’Eau, et ce dans ce monde surpeuplé où les terres rétrécissent (alors que mers et océans représentent déjà 71 % du globe…). Vive l’homo amphibius de demain !
Surfrepotes: Hugo, le mot de la fin te revient, wAga et moi-même te remercions pour ton accueil et cette belle rencontre, et à bientôt pour aller courir quelques vagues dans notre belle région !
Même si je parle de choses graves, je ne suis pas pessimiste. Dans mon dernier roman Les Sept couleurs de Monsieur Gris (http://www.editions-yago.com), un petit conte philosophique, je développe la théorie de la synchronicité. Car nous sommes tous reliés, que nous le voulions ou pas. Nos esprits sont connectés, mais nous ne le savons pas ; si nous pouvions utiliser cette force, peut-être pourrions-nous soulever des montagnes et danser avec les dauphins…
Il me semble urgent de réapprendre à vivre en symbiose avec la mer, la protéger, et nous devrions aussi réfléchir à la dimension sacrée et spirituelle de l’Océan, le berceau d’où nous sommes sortis, notre œuf cosmique.
Pour contacter Hugo : [email protected]
"Les sept couleurs de Monsieur Gris"-Roman,éditions Yago
Photos: Masurel-Poullenot/Aquashot (Copyright)
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