Nous avons certainement tous des rêves de vagues ou d'une vague en particulier...
La vague parfaite mais avec votre degré de perfection à vous. Les goûts et les couleurs de chacun sont différents et la vague l’est aussi. Grosse, moins grosse, creuse ou non, longue ou courte, seul ou à plusieurs, glassy ou offshore.
Je vais tenter de vous raconter ici ma quête de l’une d'elles, quelque part dans de lointaines contrées que je ne connaissais pas encore.
A l’époque, j’arrive dans un nouveau pays, je découvre de nouvelles vagues, de nouveaux risques, mon surf prend une nouvelle ampleur et mes rêves de nouvelles formes. Non, je ne suis pas un bon surfeur : ma technique est pauvre, mon niveau de rame très moyen mais je peux m’aventurer dans des conditions difficiles et tenter l’abordage des vagues de magazines.
C'est par une parole un peu forte et une oreille bien tendue que tout commence. En effet, la première fois que j'en ai entendue parler c'était lors d'une session tranquille où les vagues se faisaient un peu attendre mais suffisamment nombreuses pour chacun. Il fait beau, le vent est léger, l’ambiance décontractée.
Mes voisins discutent bruyamment d'un trip sur une île où ils ont scoré une longue droite "perfect". Ils sont super excités et pourtant, si je comprends bien, cela fait plus d’une semaine qu’ils sont revenus.
Des vagues parfaites toute la journée, une dizaine de gars maxi au pic, une vague qui tube avec de la taille mais sans être assassine ou qui permet les manœuvres sinon, bref un vrai rêve de surfer. Mon rêve de vague est né là, à cet instant, le cul sur la planche, le regard sur l’horizon, loin, bien loin.
Je n'ai pas osé leur demander plus de détails mais il faut maintenant assouvir ma curiosité…
Je poursuis mon apprentissage des lieux et, à force de discussion et recherches tout azimut, je finis par comprendre où se trouve certainement cette vague. Il s'agit d'un archipel au nord, accessible en bateau ou en avion et connu dans le monde entier pour son isolement, ses lagons et ses plages paradisiaques. Il est aussi moins connu pour ses requins, ses moustiques, son manque d'eau potable et ses difficultés d'approvisionnement.
Ce n’est pas encore gagné, il existe dans cette zone 80 atolls !!!
Il faut maintenant resserrer l’étau et préparer un super trip. En lâchant quelques phrases sur le spot, genre "mec qui connait" et bien aidé par la vidéo "Windows" et la session de Fanning sur le spot, je finis par savoir exactement où elle se trouve. Comme prévu il faut prendre le bateau ou l'avion mais en plus, sur place, aucun hébergement et aucun approvisionnement immédiat. Le village le plus prêt se trouve à presque 1H00 de bateau.
Mais qu'à cela ne tienne, la machine à rêve est lancée, il me faut surfer cette vague.
Je poursuis ma quête d'informations mais tout est plus simple maintenant. J'apprends ainsi que des pêcheurs font des aller-retour réguliers entre un ilot tout proche de la vague et le village, que le montant du trajet varie mais n'est pas excessif, qu'il est possible de camper sur place, qu'il n'y a pas d'eau sur l'île et que la vague ne fonctionne que pendant certaines périodes de houle de Nord.
L'attente continue et pour me mettre au supplice, une marque locale lance un clip montrant la vague surfée par les meilleurs surfeurs du coin. J'ai l'impression que tous les locaux que je rencontre ont déjà surfé là-bas et ils me racontent tous des trucs incroyables. Toutes les histoires ne sont pas rassurantes entre les requins, les grosses séries, les planches cassées et les coupures sur le corail à 1h00 d'une soi-disant infirmerie mais une chose est certaine, la vague est terrible!
Ca y est !
Finalement, le plan est mûr : avion jusque sur l'île puis le soir ou le lendemain matin départ avec le bateau des pêcheurs pour la journée et la nuit et enfin retour le jour suivant. Pas question de camper plus longtemps pour le moment car je n'ai pas de congés plus long qu'un week-end. La date est fixée, il ne faut plus qu'attendre. Je sais que vous me comprenez. Comme il est difficile d’attendre le jour du départ, comment toute l’attention est portée sur cette date du calendrier. Attention à ne pas se faire mal. Tout est-il bien prêt ? Pourvu que la houle soit là. Vais-je être au niveau ?
Enfin, le jour J arrive. Les prévisions de houle sont excellentes, un swell de nord nous bombarde depuis quelques jours déjà. Un sac léger m'accompagne avec des bouteilles d'eau, un tapis, des conserves locales et quelques fruits secs. Une seule planche suffira pour une durée si courte. Je l’enregistre en fret, c’est obligatoire.
Le vol est rapide et l'arrivée sur l'atoll est magique, la piste semble si petite, l'eau si claire, l'accueil typique des îles est si sympathique. L’odeur des fleurs envahit l’atmosphère. Quelques voitures à l’aéroport mais la seule route est bientôt déserte.
Déjà je me renseigne pour rejoindre l'ilot. Une personne semble pouvoir m'emmener le soir même, je l'appelle en suivant. Mais petite contrariété : il est déjà là bas. En fait, j'apprendrai plus tard qu'il est occupé à fêter la journée sur un charter avec des surfeurs étrangers. Sont-ils nombreux ? Ce n'est pas grave, je prendrai le bateau des pêcheurs le lendemain matin, comme prévu. D’ailleurs je me fais confirmer son existence. Oui, il vient tous les jours pour livrer le poisson au village.
Hébergé dans une pension, je passe une nuit courte et agitée. Je fonce dès l'aube vers le quai et tourne en rond en attendant le pêcheur. De plus ou moins petits requins croisent le long du quai, nous sommes chez eux sans doute. Le vent semble assez fort et le lagon est bien clapoteux. Enfin, un bateau apparait à l'horizon. Malgré mon excitation, je le laisse accoster tranquillement. Le passager est un surfeur, j'en profite pour lui demander comment sont les vagues ce matin et s'il y a du monde sur le spot. Et là, c'est le coup de poignard. La houle est tombée depuis hier et, en plus, le vent est mal orienté : il n'y aura pas de surf aujourd'hui. Pour etourner le couteau dans la plaie il me raconte les deux jours parfaits qu'il vient d'avoir : tubulaire le premier jour, lisse et long le second avec encore des sections à tube et une longueur vraiment incroyable. Les boules, total grave. Il me confirme qu'il est possible de camper sur place et me préviens de me méfier des moustiques, très présents. Il faudra que je rajoute un briquet à mon paquetage pour le feu protecteur. Le charter amène effectivement des surfeurs sur le spot mais ils ne surfent pas toute la journée et pas le matin tôt. De toute façon, ça ne représente pas plus de 15 personnes au pic.
C'est donc foutu pour la découverte du spot. Ma déception est à la hauteur de l’attente. J'en profite pour découvrir l'île et je ne le regrette pas : c'est fabuleux. Le côté sauvage et perdu au milieu de l'océan fait un drôle d'effet. Les couleurs changent d'heure en heure. Parfois, vous vous sentez seul au monde, tel Robinson. Les odeurs de mer, de fleurs, de plantes vous surprennent. Le vent est chaud mais parfois l’ombre vous surprend par sa fraîcheur. L’eau est chaude et translucide, contempler les poissons est si simple, nager avec eux si surprenant. Que de sensations.
Retour à la case départ, ou presque. Mais l'envie, le rêve est toujours présent, j'irai!
Une année passe, puis une autre et toujours pas de nouvelle occasion. Mais finalement, un voyage à Hawaii disparait faute de place dans l'avion, un trip au Chili s'écroule faute d'argent et un nouveau projet voyage dans les îles voit le jour.
Cette fois ci, rien n'est laissé au hasard : tente, conserves, riz, réchaud, anti-moustique, bidons pour l'eau. Par téléphone, j'ai réservé une pension en expliquant que je partirai sur l'ilot dès que possible et qu'il faudra m'emmener. La réponse fut : "pas de problème". Mais je me méfie de ce genre de "no-problem attitude", ici cela veut dire : on s'adaptera. Nous devons rester 4 jours sur l'île, je devrais arriver à en caser deux complets sur le spot.
A nouveau, l'avion se pose sur cette piste si petite. C'est original, on vient nous chercher en bateau cette fois et la pension ou nous logeons est située sur son propre ilot. Le cadre est somptueux. Pas les bâtiments mais la nature qui l’entoure. Rien n'a changé depuis deux ans ici, le temps se serait-il arrêté?
Je mets à profit l'après midi pour rechercher un transport fiable pour le lendemain. Et bonne surprise, la personne qui emmène les surfeurs c'est Justin, mon hôte! Nous discutons donc du prix et tombons d'accord puisque le sien correspond à ce que j'attends. Seul bémol, il doit attendre le bateau qui livre l'essence et qui vient le lendemain en fin de matinée. Je tique un peu et lui dit que je vais me renseigner encore au village pour voir si quelqu'un peut m'emmener. Mais ici tout le monde est à sec et ceux qui ne le sont pas gardent leur essence au cas où le bateau de ravitaillement ne venait pas. Je retourne donc vers Justin et nous convenons de partir dès qu'il aura récupéré son essence.
La nuit est pleine de moustiques mais le réveil au bord du lagon dans la tente est magique, tout est si calme, si translucide. C’est comme si l’eau et l’air flottaient ensemble, le ciel et le lagon se marient à l’horizon, les cocotiers, les oiseaux sont comme dessinés. Je sors de ma transe matinale, mon objectif est là, tout proche.
Je suis alors comme les locaux : j'attends le bateau avec impatience. Pour eux, c'est un bateau spécial : nous sommes le 24 décembre et, en plus de l’essence, il apporte aussi les cadeaux pour tout le monde. Enfin il arrive à quai, le débarquement commence. Justin part avec ses bidons. Le grand moment approche.
Il est 16h quand il revient, je n'en peux plus d'attendre mais en trois années de culture locale j’ai appris à rengainer mon impatience occidentale, « no-problem ». Mais là, stupeur, il jette les bidons sur le sable visiblement en colère : ils sont vides!
J'attends un peu pour aller aux nouvelles, le bonhomme est énervé, ce ne doit pas être le moment, client ou pas client. Voilà finalement les nouvelles : comme le bateau transporte les cadeaux, il n'a prix qu'un container d'essence au lieu des deux habituels. L'essence n'est distribuée qu'à ceux qui en ont fait la commande. Evidemment, à par les hôtels de luxe, personne n'a fait de commande, donc pas plus d'essence sur l'île que la veille. Ce n’est pas possible, je suis maudit. La colère, la déception, la tristesse me traversent tour à tour. Je rumine, j’ai comme envie de crier à cette vague là-bas que j’arrive et qu’elle a intérêt à ne pas faire la maline, je l’aurai !
Je ne m'avoue pas vaincu et recherche encore une possibilité. Hélas, personne ne reste ou ne va sur l'ilot le soir de Noël. Même le bateau de la plongée ne bougera pas aujourd’hui et demain. Rage et encore rage. C'est encore raté. Je dois me résigner.
La soirée est très belle. Nous sommes invités à manger une vraie dinde puis à participer à un échange de bonbons et chansons entre toutes les familles du village. L'esprit de Noël est bien là.
Et là-bas, la machine à vagues fonctionne à plein, même le jour de Noël. Le volume de la dinde et de ce qui l’accompagne représente le volume d’essence qui me manque. Mais ce soir, j’ai aussi compris que les gens ici n’ont presque plus d’essence pour deux semaines, que la pêche va devenir bien difficile et que le poisson est la base de l’alimentation avec le riz. Ca veut dire pour eux conserves de viande ou de poisson pendant au moins une semaine. Ce n’est pas la famine certes mais je ne veux pas être à leur place !
J'essaye encore le lendemain, pour la dernière journée, mais tout le monde fête Noël en famille et en bouteille. Ce coup-ci c'est bien mort.
Le lendemain, nous prenons l'avion pour une autre île, la page se tourne définitivement. Nous survolons la passe, j’aperçois la vague et pour me saluer, elle laisse un surfer envoyer une gerbe d’au revoir.
L’histoire se termine par un coup de chance, sur une des iles que nous allons découvrir ensuite je vais surfer pendant trois jours une droite magnifique.
Mais ce n'est pas la belle dont j'avais rêvée…