Si certains shapers maîtrisent parfaitement l’art du glass, d’autres préfèrent déléguer cette étape à des spécialistes. Souvent méconnus, ces glasseurs professionnels assurent derrière leur masque un travail de qualité essentiel dans la réalisation d’une planche. Cette discrétion bien involontaire soulève le problème de leur métier. En effet, peu de surfers connaissent réellement l’importance d’une bonne stratification ou bien encore la difficulté d’exécution d’un beau gloss. On peut se demander si cette méconnaissance du grand public pour ce métier ne rend t’il pas ce dernier sous évalué par l’industrie du surf. En rencontrant Fabrice Morous de « Blend Glassing » nous avons décidé certes de rencontrer le glasseur réputé qu’il est mais aussi de profiter de son expérience reconnue et de son implication dans le monde du surf pour continuer notre découverte de cette spécialisation de l’ombre.
Surfrepotes: Une petite et rapide présentation histoire de passer aux choses sérieuses ?
Salut, je m’appelle Fabrice Morous,j’ai 36 ans,plus connus sous le nom de Blend Glassing,glasseur Breton expatrié dans les Landes depuis une quinzaine d’années.J’ai un bon atelier de glass sûr Soustons.
SRP: Comment en es tu venu au glass ?
J’ai commencé très tôt par faire des réparations par chez moi en BZH puis j’ai rencontré un shaper brésilien ( Rodrigo Soarès, RIP.) qui m’a beaucoup appris au Brésil à Rio et donné l’envie d’en faire un job.A mon retour j’ ai bossé chez ATS à Quiberon une bonne saison avant de migrer vers le sud-ouest
SRP: Breton d’origine, tu as maintenant fait ta place dans le sud et plus particulièrement dans la production locale, régionale et même nationale de planches. Pour cela, cette délocalisation était elle obligatoire ?
Dans la mesure où je me suis spécialisé dans la stratification des boards,ma réponse est oui car la masse de boards produites en BZH n’est pas suffisante pour en faire un atelier de glass, la plupart des shapers bretons glassant eux même leur prod. En outre, sans vouloir blesser qui que ce soit,c’est quand même ici dans le Sud Ouest que tout se passe au niveau surf business.
SRP: Channel Islands (Al Merrick), Billabong Surfboards ( Rob Vaughan ), ZAKA surfboards et d'autres moins connus te confient la réalisation d’une partie de leur production. Comment décroche t’on de tels marchés ?
Le savoir faire mec !!!
Non, sans déconner les choses se sont faites petit à petit, right time right place comme on dit, j’ai surtout eu la chance de rencontrer un local de Vieux Boucau nommé Toma Espil avec qui j’ai fait un premier atelier .Il shapait, je glassais, on faisait des Blend surfboards à l’époque .On s’efforçait de faire de notre mieux ,on surfait beaucoup, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres personnes et de faire les premières Billabong surfboards (BBG ) shapées par Rob Vaughan, le reste a suivi, j’ai été très surpris par la demande constante, Zaka est venu vers moi après avoir quitté Surf Odissey, quand à Channel Islands, c’est Belly d’Euroglass qui m’a branché sur la prod, puis Burton a pris le relais.
Le truc c’est qu’une fois que tu es dans le circuit le bouche à oreille fait son chemin, le plus important étant de garder la meilleure qualité possible.
SRP: Ces mêmes marques ont-elles un cahier des charges bien définis lors de leur commandes (tels tissus, tel résine, patch de renfort sur les boîtiers…) ou as-tu une certaine marge de manœuvre voir une liberté totale dans tes choix ?
Chaque board a une fiche technique qui la suit et défini ses caractéristiques, glass light team rider,normal standard,stock ou strong voir plus... Pas de place au hasard dans la prod, tout est spécifié.
Au niveau des matières premières elles (les marques) me font confiance dans la mesure où j’utilise toujours les meilleurs produits du marché, la seule constance étant la résine de façon à avoir toujours la même teinte des boards,ça la fout un peu mal si dans un même shop ,pour la même marque t’a pas le même produit...
SRP: Pour bien comprendre comment se passe la « sous-traitance » du glass pour de telles marques, peux tu nous dire si il existe une concertation entre le shaper, le glasseur et la marque ?
Le shaper, en règle générale, représente la marque et c’est lui qui définit ce qu’il veut, ce sont ses boards après tout. La communication est primordiale,surtout par rapport au feedback des team riders.
On parle beaucoup, on va aussi surfer ensemble, c’est çà le plus important.
SRP: D’ailleurs, ce mot « sous-traitance » ne te dérange t’il pas ? N’est ce pas le reflet de l’image que l’on réserve aux glasseurs en France ?
Non, le fait d’être dans l’ombre des shapers ne me dérange pas, le glassage est le coté obscure, méconnu du grand public, c’est ma spécialité et je pense que c’est mieux ainsi.
SRP: Lorsqu’on connaît l’importance du glassage dans le rendu final d’une planche (que ce soit dans l’aspect esthétique, sa longévité, sa solidité, son poids total…) on se demande pourquoi n’y a-t-il pas plus de mise en avant sur cette étape. As-tu une idée sur cet état de fait ?
Je pense que c’est une question de culture du surf.
C’est malheureusement bien le cas, surtout en France car, la pratique du surf est plus un loisir estival qu’un sport à part entière, donc les gens achètent des boards sans se poser de questions sur la qualité du produit ( d’où les bonnes ventes des chinoiseries et autres planches en plastiques sans âmes...).
Une bonne board est avant tout un compromis shape /start /ponçage, mais comme je l’ai dit, nous sommes dans l’ombre du shaper donc rarement mis en avant.
Les bons surfeurs savent en général complimenter les glasseurs.
SRP: Outre les noms cités ci-dessus, Tu es aussi très impliqué par rapport aux productions de Chris Christenson Surfboards (San Diego).
J’ai rencontré Chris Christenson en Angleterre il y a 3 ans lors du premier fish fry européen, s’en est suivi une collaboration pour la distribution en France de son Label, c’est un shaper d’exeption, superbe gamme de boards.
J’ai récemment été contacté par Josh Hall, shaper de San Diégo protégé de Skip Frye, pour la fabrication de ses planches en Europe, de magnifiques boards sont donc sorti de l’atelier.
SRP: Dans le milieu on parle souvent de l’augmentation constante des coûts de matériaux (résines, tissus, additifs). Est-ce véritablement le cas ? Et dans ce cas arrives tu à équilibrer de manière adéquate tes marges ?
Voilà le gros problème de la sous-traitance import USA, les distributeurs gourmands jouent sur le coût du transport et au final nous en faisons les frais.
J’étais en Californie en Janvier 09 et j’ai fais le tour des distributeurs là bas, je me suis bien rendu compte à quel point on nous prenait pour des jambons ici en France !!
Comme tout est bouclé, on a pas le choix...On doit en permanence ajuster les tarifs,et franchement,les boards seraient bien moins chères au final s’il n’y avait pas tous ces intermédiaires.Heu, je sais que ça ne plaira pas trop mais bon…
SRP: J’ai eu la chance de rencontrer dernièrement d’autres glasseurs qui, toujours passionnés, souffraient néanmoins d’un réel manque de reconnaissance pour leur travail. En cela je veux parler de délais imposés parfois dur voir quasi impossible à respecter et aussi il faut bien le dire de rémunérations en désaccord avec le travail fourni. Est tu d’accord avec cette vision des choses ?
Le produit fini est la représentation de notre travail, ceux qui souffrent de reconnaissance n’ont qu’à se poser les bonnes questions.
Les délais sont parfois difficile à respecter c’est sur, il faut savoir prendre sur soi, il m’arrive même de travailler tard le soir pour satisfaire la demande, c’est un taf qui me plait, des challenges à relever, après c’est vrai que en rapport au travail qualifié fourni, les rémunérations ne sont pas trop à niveau, mais je m’en sort quand même pas trop mal et puis je prends le temps de surfer.
SRP: Vu ta forte activité je me demandais si pour tes matières premières tu faisais appel à un grossiste ou te fournissais tu directement chez les fabricants ?
Le marché est pratiquement bouclé par les distributeurs, difficile de se fournir en direct à la source, mais il y a quelques exceptions grâce aux contacts que je peux avoir aux US.
SRP: Tiens justement, ton activité de glasseur, c’est combien de planches année ?
Je fabrique entre 500 et 800 boards tout dépend du boulot demandé (strat classique blanche, ou résines teintées polish...)
SRP: Dernièrement Tristan Mausse est venu te rejoindre dans ton travail à l’atelier. Blend Glassing se résume t’il donc à vous deux ?
Actuellement oui, avant l’arrivé de Tristan je faisais bosser au coup par coup un bon vieux glasseur Anglais ainsi qu’un ponçeur Kiwi. J’ai toujours été très bien entouré. C’est très important d’avoir un bon team de mecs qui savent bosser.
SRP: Si un jour j’arrives avec ma dernière production : un « shape garage » tout vrillé, asymétrique et rempli, comme il se doit, de creux involontaires. Le shaper amateur que je suis pourra t’il voir sa saucisse glassée entre deux Al Merrick et une Vaughan?
Oui bien sur, pas de discrimination chez Blend, une planche à glasser reste une planche à glasser peu importe le label.
Mais il est vrai que je passe plus de temps pour rattraper les erreurs d’un shape garage, il ne faut jamais oublier d’où l’ on vient.
SRP: Certaines marques sont reconnues pour leur sobriété dans la décoration, genre la « galette blanche ». Le glasseur que tu es n’est il frustré de travailler sur de telles planches ?
Cela ne fait aucune différence pour moi, c’est la routine, en revanche une résine teintée est une toute autre histoire, plus passionnante, j’adore voir le produit fini, ce sentiment de bon travail accompli.
SRP: On le sait, ils existent malheureusement certaines différences de point de vue entre shapers. Ces divergences débouchent parfois sur des rivalités plus ou moins cachées entre ces professionnels somme tout respectables. Le micro monde des glasseurs Français paraît plus serein et beaucoup plus solidaire. Une façade ?
Le coté underground de notre activité fait que les glasseurs ont beaucoup de respect entre eux, pour ce qui est des shapers ce n’est pas mon problème! Ils peuvent se bouffer la gueule entre eux, je m’en tape, mais en règle générale tout le monde s’entend bien.
SRP: En plus de ton activité déjà bien remplie de glasseur tu détiens la licence Française de distribution pour Lokbox et Rainbox fins. Pourtant ceux qui te connaissent savent que tu es souvent sur le coup niveau bonne session. Question de priorité ?
Effectivement je suis distributeur pour Lokbox et Rainbow fins mais je ne fais que le relais des commandes à expédier sur la France, cela ne me prend pas trop de temps.
Quand tu vis dans les Landes, le bon timing pour surfer est primordial. Si je fais ce métier en tant qu’ indépendant c’est pour être libre de surfer quand c’est bon. Toujours rester en contact avec l’activité, après tout, c’est ma passion!
SRP: Merci à toi d’avoir libéré un peu de temps pour nous répondre et nous éclairer un peu plus sur ce travail de l’ombre pourtant si indispensable.
Mais c’est avec plaisir et bonne continuation.
Surtout ne jamais oublier que le surf c’est pour se faire plaisir, alors arrêtez de vous prendre la gueule dans l’eau
et souriez !!
Aloha.
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