Dans un contexte où les shapers pros ont de plus en plus de mal à affronter les productions asiatiques - débat récurrent sur le forum - et sont peut-être réticents à s’aventurer en dehors des sentiers battus, ATUA CORES a fait le pari de leur proposer une alternative au schéma classique PU-POLYESTER.
Rencontre avec deux entrepreneurs timides et convaincants.
Surfrepotes : Tout d’abord, les présentations...
Stephen Kitchener et Johanna Adéma, originaires de la région Bordelaise, 28 et 29 ans, ensemble dans la vie comme à la ville. A la fin de nos études en 2003, nous avons passé une année sabbatique en Nouvelle Zélande. Nous y avons fait de belles rencontres, notamment dans l'art et le surf, souvent mêlés. Cette année « à part » nous a permis de mûrir nos projets professionnels. Nous avons décidé de créer une entreprise, tournée dans un premier temps vers le négoce, grâce à nos contacts en Nouvelle-Zélande, puis consacrée à la production dans le surf avec Atua.Cores en 2005.
Srp : Au fait, ATUACORES, ca veut dire quoi ?
Atua, c’est « l’essence », « l’esprit » en maori. C’est moins pour le sens profond que pour le clin d’œil personnel à notre expérience en NZ.
Cores est une allusion au pain de mousse, noyau des futures planches.
Srp : Alors, comment avez-vous commencé ?
Avec mon frère Pierre, nous avions mis au point pour le plaisir une petite machine de découpe numérique, assez rudimentaire, pour fabriquer les pains de mousse de nos propres planches.
Srp : Vous aviez des compétences particulières ?
Non, pas vraiment. Nous nous sommes renseignés, nous avons tâtonné, connu des ratés, essayé différents systèmes mécaniques jusqu’à arriver à un résultat fiable et efficace. On a montré ça à des copains, qui ont été emballés, et pour qui on a commencé à en faire. C'est ainsi qu'a démarré ATUA CORES, avec la machine dans le garage.
On a acheté du tissu de verre et contacté les fabricants de résine pour commencer à compléter notre offre.
De fil en aiguille, on a développé un site internet, trouvé de l’aide auprès de la CCI pour avoir une place en pépinière d’entreprise à Floirac. C’est à ce moment là qu’on a mis au point une deuxième machine, plus grande et plus rapide, pour pouvoir répondre à la demande grandissante.
Srp : Concernant votre matière première, les blocs de mousse sont faits spécifiquement pour vous ?
Oui, en fonction de notre cahier des charges (densité, granulométrie, cohésion notamment). Notre exigence de qualité nous pousse parfois à refuser certains blocs livrés, afin de garantir à nos clients le meilleur résultat.
Srp : Et SurfDesigner ?
Comme tout le monde n’a pas les logiciels ou les connaissances pour réaliser les tracés, on a eu l’idée de cette interface avec un ami qui, en étroite collaboration avec nous, s'est chargé de son développement. Ce service en ligne de création de templates est mis gratuitement à disposition.
Srp : Vous pouvez aussi travailler à partir de fichiers générés autrement qu’avec SurfDesigner ?
Absolument. Nous exploitons notamment les formats Illustrator, AutoCad, dxf, hpgl, s3d. Nous avons aussi un projet avec BoardCad également gratuit, que nous traduisons en français, et pour lequel nous travaillons à faire des exports directement exploitables par nos machines.
Srp : N’est-ce pas le moment d’évoquer le DSI, que Surf Session semble considérer comme un bébé commun entre Stark et AtuaCores ?
C’est effectivement un développement commun issu de nos complémentarités : Les compétences de JP Stark pour le shape, ainsi que son réseau de surfers de haut niveau pour tester le comportement des planches. De notre coté, l’idée d’inclusion de tubes est issue de l’atelier et sa mise en œuvre se fait ici.
JP Stark nous envoie ses designs Outline / Rocker / Foil, et un fichier qui figure la position des inserts. Nous faisons la découpe, un peu plus complexe que d’habitude, rajoutons les inserts carbone, il shape, puis c’est Laurent Dabat (Glass Sytem, ndlr), qui fait la strat’.
Srp : Combien de planches sont en test actuellement ?
Là encore, beaucoup de tentatives ne sont pas allées jusqu’au bout et nous tâtonnons afin d’avoir un résultat optimal. Il y aujourd’hui une quinzaine de planches qui tournent, toutes différentes, afin d’avoir le maximum de retours (torsion, flex, diamètre idéal des tubes, densité des pains...).
Srp : Comment faire le parallèle avec les pains flexcel (cf. article surfrepotes sur les pains flexcel) ?
Effectivement, le but avoué est le même : essayer de trouver dans le flex de la planche une réserve d’énergie qui permette une bonne relance. Par rapport au flexcel, notre avantage principal réside dans le fait que, les pains étant faits individuellement ici, nous pourrons adapter chaque construction (densité du pain, diamétre des tubes…) aux exigences précises du shaper. Par ailleurs, gros avantage : les inserts étant au cœur du pain, aucune latte en surface ne vient compliquer le shape !
Srp : Les résultats sont testés « scientifiquement » ?
Des mesures ont été effectivement réalisées par JP Stark sur les machines de ROSSIGNOL®, utilisées pour leurs skis.
L’essentiel pour nous reste quand même les impressions ressenties par les surfeurs, en termes de confort (absorption du clapot) et de relance, de dynamisme.
Srp : Pour ce qui est de la partie commerciale, qui sont vos clients : Pros ? Particuliers ?
Au départ, les particuliers, moins pris par leurs habitudes, ont eu moins d'à priori à shaper nos pains EPS. Ils représentent une partie importante de notre clientèle. Il faut dire aussi que nous avons présenté les choses doucement, en laissant beaucoup faire le bouche à oreille.
Pour les pros, la Bretagne a été plus réactive que le Pays Basque, les fabricants locaux étant déjà habitués au polystyrène, compte tenu de leur culture windsurf plus exigeante en terme de gain de poids. Les Etats-Unis, qui sont un modèle ou une inspiration pour beaucoup, travaillant le polystyrène depuis un moment déjà et nos résultats qualitatifs étant présents, le Sud s’est peu à peu ouvert à nous.
Srp : Qui peut-on citer parmi vos clients Pro ?
Entre autres FX Vince, Rougé Surfboards, Minvielle Surfboards, Stark Surfboards, Rod’s (pour les SUP), Juanito Surfboards, UWL, Freaks, ATS, Barrel Surfboards, Soul Surfer, MacMillan, Gérard Dabadie, Uhaina, Mystic SurfBoards, …
Srp : Et quel est le rapport des shapers face à cette sorte de semi préshape ?
Nous employons plutôt le terme de pain « prêt à shaper ». « Prêt » car l'outline et le rocker/foil (issus des côtes sur mesure du shaper) sont déjà réalisés dans notre atelier. Cela rend inutile la fabrication manuelle de gabarit et leur emploi pour découper l'outline à la scie égoïne ou encore le décroutage du pain. « a shaper » car il reste quand même un vrai travail de shape manuel, la mise en forme des rails, du pont, de la carène, ce qui constitue la pleine expression du savoir-faire du shaper.
Ils peuvent donc y trouver leur compte en terme de « productivité », de précision et de qualité.
Srp : Comment se concrétise votre démarche en faveur du développement durable (1% for the Planet, recyclage des chutes...) ?
Depuis 2007, Atua.Cores fait partie de l'association 1% For The Planet, et verse à ce titre chaque année au moins 1% de son chiffre d'affaires à une association œuvrant pour la protection de l'environnement ou qui propose des solutions allant dans ce sens. En 2008 nos dons ont été faits à Surfrider Foundation, et en 2009 à l'association Clean Shaper.
Par ailleurs, le recyclage systématique des chutes de PSE, que ce soient celles générées par l'atelier ou celles ramenées par des clients ou collectées, le tri des déchets, la minimisation du recours à des consommables, l'approvisionnement auprès de fournisseurs locaux sont des automatismes chez nous.
Srp : Un sujet débattu aussi dans nos pages concerne la toxicité des produits employés dans le shape. Qu’en est-il de vos produits ?
Une règle simple : quel que soit le produit chimique employé ou la matière travaillée, il vaut mieux trop se protéger que pas du tout. Si l'on considère le polystyrène, la fibre de verre et la résine époxy : le shape du polystyrène provoque des poussières. Même si la matière est inerte, employée dans l'alimentaire, et les poussières de shape grosses, autant porter un masque papier à poussière !
Lorsqu'on coupe de la fibre de verre, de très petites fibres s'envolent, là aussi autant porter un masque papier.
La résine époxy reste un produit chimique, émettant très peu de COV et faiblement toxique pour nous. Mais nous conseillons bien sûr de porter des gants et un masque respiratoire adapté, et de ventiler l'espace de travail.
Ce sont de simples précautions peu contraignantes et qui permettent de profiter en toute sécurité de sa passion pour la construction de planches.
Srp : Le mot de la fin ?
Merci à tous ceux qui nous ont fait confiance et continuent à le faire. L'histoire d'Atua.Cores est synonyme de nouveautés et d'innovations auxquelles vous avez été sensibles. Mais nous ne nous reposons pas sur nos lauriers, beaucoup de projets sont « dans les cartons ». Certains à notre initiative, d'autres suite aux suggestions que nous recevons, et que ce soit en terme de produit ou de service. A suivre...
Le site d'Atuacores :
Liste des interviews et dossiers du forum