Bon, si ça vous plait, je continue. Le premier jour, 7h du mat, prise de poste. 7h20, départ pour l'aéroport avec le fils de l'un des plus importants chefs de l'île (l'un des Aliki), dans un état proche du Kentucky (comprendre, entre la vie et la mort). De tête ça faisait donc 8 avions en 6 jours, tranquilou bilou.
Mata-Utu, Wallis - 7 octobre 2014Retour chez Loka, ma maman polynésienne, 24h après lui avoir dit au revoir. Retrouvailles avec Jean et Kevin, et papotage avec des profs de Nouméa venus pour un salon de l'étudiant local. Et un ciel de nuit sublime en prime. Life is sooooo good (again).
Mata-Utu, Wallis - 8 octobre 2014Je dis au revoir à Loka pour la deuxième fois en 24h, normalement pour plusieurs mois, sous réserve d'évacuations sanitaires suprises…
Futuna - 9 octobre 2014De retour à Futuna, je prends mes marques, je fais des rencontres. Au sortir de l'hôpital, d'étranges crustacés errent, voûtés, sur le platier en poussant d'étranges petits cris.
Futuna - 11 octobre 2014Difficile de ne pas s'arrêter sur le bord de la route chaque fois que je rentre du boulot… Ici une minuscule houlette de quelques centimètres révèle le potentiel du coin, avec les conditions qui vont bien. Mais je suis sur la côte ouest, orientée SW. Il semble que pour la houle, ça se passe de l'autre côté. Manque de pot, l'ouragan Evan a démoli en 2010 je crois la route (la seule et unique) qui fait le tour de l'île. Aujourd'hui, pour se rendre de l'autre côté, pas d'autre choix que de faire le tour par le sud et Vele :notepourplustard:
Alors que je prends mes photos, le bruit d'une Vespa, des freins, un sifflet strident… Je suis dans la mouise, je n'ai pas mes papiers.
Les cicatrices du cocotier à ma droite laissent augurer d'un mode de résolution des conflits qui n'est pas pour me rassurer, je le concède.
Un peu de diplomatie plus tard, il semble qu'en guise de PV, je m'en sorte avec du poisson cru pêché à 300m de fond, avec une sauce au citron. CIRCULEEEEEEEEEEZ!!! En même temps il n'y a pas de police à Futuna. Il n'y a que la gendarmerie, et il s'agit là en fait d'Aloisio, un futunien Aliki policier de son état (à Toulouse, pendant 12 ans) qui deviendra mon meilleur ami sur place.
Pas de commentaires détaillés sur cette photo. Je l'ai faite en pleine nuit en revenant de l'une des expériences qui m'a le plus marqué (genre, de toute ma vie hein) : j'ai été appelé pour constater le décès d'une futunienne âgée. En arrivant, j'ai trouvé une maison remplie d'environ 70 membres de la famille (ici, tout le monde "est famille"), chantant des chants traditionnels et des chants catholiques, autour du corps recouvert de robes brodées et de centaines de fleurs et de colliers. L'émotion était impossible à saisir, et est impossible à décrire.
Hôpital de Kaleveleve, Futuna - 12 octobre 2014Pour ceux que cela intéresse, la mort est tout aussi coûteuse de l'autre côté de la planète : 900-950 francs pacifique le paquet, soit environ 7.5€
Royaume de Sigave, Futuna - 15 octobre 2014Les choses sérieuses commencent.
“Le kava, kawa, kava-kava ou kawa-kawa, est une plante originaire du Pacifique occidental. Il est connu sous les noms de ‘awa à Hawaii, de 'ava aux Samoa et de yaqona aux Fidji. Apparenté au poivre, ce que confirme son goût, son nom scientifique est Piper methysticum. Le kava est utilisé depuis des temps immémoriaux dans la vie religieuse, culturelle et politique de l'ensemble du Pacifique. Le kava, connu depuis au moins 2 000 ans par les îliens, est en fait la racine d'un cultivar du poivrier sauvage (Piper methysticum, pipéracées) qui ne pousse qu'au Vanuatu, à Wallis et Futuna, et dans quelques îles avoisinantes.
Sur place, sa consommation, vieille de plusieurs siècles, est ritualisée et régie par la coutume. Le partager est un signe d'amitié, d'ailleurs un proverbe dit : « On ne peut tuer tout de suite quelqu'un avec qui on vient de boire le kava ». Des paquets traditionnels de racines de kava sont présentés dans diverses cérémonies (de bienvenue, de funérailles, de réconciliation…).
Dans sa forme traditionnelle, le kava est préparé à partir du rhizome qui est mâché puis recraché sur une feuille de bananier. Laissé quelques heures au soleil, la pâte obtenue est ensuite filtrée avec un peu d'eau et consommée dans la coque d'une moitié de noix de coco évidée. Dans les tribus, l'usage du kava est sacré, et interdit aux femmes.
Le rhizome du kava possède des propriétés anesthésiantes, myorelaxantes, stimulantes et euphorisantes ; un effet anti-dépresseur a été mis en évidence récemment. Le kava est aussi un diurétique. Il est hypnotique à fortes doses.
En 2004, le Larousse des drogues et des dépendances déclare que l'usage de kava quelle que soit sa préparation (mâchée, pilée ou réduite industriellement en poudre) peut également amener à long terme des troubles de la vision et une incoordination motrice, pouvant aller jusqu'à un syndrome parkinsonien. Cependant cette déclaration est contraire à plusieurs études sur le sujet, qui établissent formellement une différence entre le kava traditionnellement préparé et les extraits industriels. D'autre part, la population de Vanuatu, grande consommatrice de kava dans des proportions bien supérieures aux doses consommées dans les pays importateurs, ne montre pas ces traits dans le bilan de santé du pays. Il n'y a aucune évidence de taux anormalement élevés de quelconques maladies du foie à Vanuatu et dans les autres pays traditionnellement consommateurs de kava, par rapport aux autres pays du monde. L’association canadienne des aliments de santé cite environ 100 études et rapports, tous indiquant que le kava est sans risque pour la grande majorité des gens. Par ailleurs il n'entraîne en principe ni dépendance, ni accoutumance.”
Lors d'un tauasu (la réunion des hommes dans le fale, pour boire le kava et discuter), si un chef ou une personnalité est présente, certaines règles sont incontournables : interdiction de traverser l'espace central pour pénétrer dans l'enceinte, on s'assied là où on nous l'indique, on ne parle pas quand l'un des chefs s'exprime (généralement pour saluer la présence de certains invités de marque) et on se lève ensuite pour saluer les personnes importantes, dans un ordre bien précis. Personnellement, je regarde dans quel ordre est servi le kava, et je suis scrupuleusement le même ordre pour saluer ensuite, quitte à mettre un énorme vent à de vieux messieurs. C'est la dure loi de la hiérarchie.
Difficile de ne pas être impressionné quand on est présenté à ce type de personnage.
Pour mon tout premier tauasu, et mon tout premier kava, l'accueil est chaleureux. Cet homme, qui a de la famille ici, vient à Futuna pour la toute première fois. Les “transfuges” sont généralement repérables à leur tui tiale, leur collier de fleurs.
Cet homme n'avait pas vu son fils depuis des années. Ce dernier a fait ses études, puis sa vie, en Calédonie, comme la plupart des futuniens qui choisissent de mener des études et une vie plus “occidentale”.
Pendant que les hommes palabrent au tauasu (ce qui se dit d'ailleurs “palalau” ici à Sigave, le royaume du nord. Pour la petite histoire, il s'agit d'un terme emprunté au wallisien pour remplacer le “masau” futunien), les femmes préparent d'une main experte le poisson à quelques mètres.
Pure beauté. Charisme proprement phénoménal. ZE grand-mère.
Royaume de Sigave, Futuna - 16 octobre 2014Le concept de la coutume prend tout son sens quand on découvre la générosité de nos hôtes. Je ne peux manger qu’un vingtième au plus (ce n’est PAS une image) de ce que l’on m’offre.
De superbes paniers tressés sont remplis à rabord de victuailles (dont des pièces de cochons tués pour l’occasion il y a quelques heures, et découpés sous nos yeux il y a 3 minutes - grand moment d’inquiétude au passage, quand je vois les machettes frôler les mains et les pieds nus… Je ne suis pas de garde mais quand même - ), et nous sommes fermement invités à les emporter avec nous.
Avant de prendre congé, nous nous mettrons d’accord avec le ministre présent au taouasu pour partager nos paniers avec les malades de l’hôpital.
Quand je pense que je devais n’arriver que début novembre. Par un hasard incroyable, je suis finalement arrivé la semaine dernière, soit précisément une semaine avant la semaine des communions.
Tout le monde m’en parle depuis Nouméa. Et pour cause, il s’agit de la semaine la plus importante de l’année, et de loin. Les familles arrivent de Wallis, de Calédonie, et même de métropole (ce qui quand on connait le temps de trajet et le prix du billet, force l’admiration).
Aujourd’hui, les enfants sont rois. Les femmes des différentes familles accordent une attention minutieuse au moindre détail de tenues colorées et incroyablement élaborées. Les cousins habituellement séparés par des milliers de kilomètres se retrouvent ou se rencontrent, les jeunes depuis longtemps exilés retrouvent (et parfois découvrent) les traditions de leurs ancêtres.
Quelle chance, et surtout quel honneur d’être convié pour assister à tout ceci.
Chacun de ces colliers coûte la bagatelle de plusieurs dizaines de milliers de francs pacifique, soit plusieurs centaines d'euros. L'investissement des familles, aussi bien matériel qu'émotionnel, est massif.
Le stress monte un peu, les gamins sont parfois impressionnés de voir l'intégralité des membres de leur famille, dont des inconnus venus des quatre coins de la planète, s'affairer autour d'eux depuis plusieurs jours.
Après, ils restent des enfants, et mon futunien balbutiant suffit visiblement à les faire déstresser un instant ^_^
J'ignore si le Vatican se doute de la beauté et de l'originalité que ces personnes insufflent, à l'autre bout du monde, aux rites qui sont chez nous usés jusqu'à l'os.
Pendant ce temps, les chefs et la famille sont réunis autour des victuailles, le kava est prêt, l'ambiance est solennelle. Nous n'attendons plus que les petits, qui font une entrée chorégraphiée. Les photos ne sont je pense pas de mise, toujours est-il que je n'oserai pas.
Là, ils n'en mènent plus large. Le ministre commence à parler, tout le monde écoute dans un silence de cathédrale.
Il faut dire que le préposé au kava n'a pas l'air des plus commodes (c'est pour le style, en vérité il a la banane jusqu'aux oreilles le reste du temps).
Certains semblent plus rassurés que d'autres, tout de même.
Le kava de cérémonie est dans les tuyaux, ça chauffe. Je suis excité comme Eric Zemmour un soir de législatives partielles dans le Var à l'idée de partager ces moments rares…
Grand jour pour les petits futuniens : le kava, normalement réservé aux adultes (et aux hommes mariés plus précisément), leur est offert, avec les honneurs. Leur nom est cité, ils frappent dans leurs mains trois fois, et peuvent boire la boisson traditionnelle, assis aux côtés des chefs.
Évènement rare, même les petites filles y ont droit. Le regard de la petite voisine se passe de commentaires.
Le cochon. LE COCHON. L'alpha et l'omega. Le cochon. Source de toutes choses. Le cochon. Copain. Dis pas d'mal du cochon. Ne demande jamais à un futunien de choisir entre le cochon et toi.
Même les grands costauds tatoués sont en fait des types formidables. KAVAAAAAaaaaa!!!
N’ayant pas encore compris comment refuser le kava (qui est servi toutes les 5 minutes, pour info) sans commettre d’impair dans le tauasu, je m’évade régulièrement dans les quartiers des femmes et des enfants, ce qui fait, soyons francs, bien marrer tout ce petit monde ^_^
E se kau inu o kava, c’est trop direct, je dois observer et élaborer une stratégie plus diplomatique.
Ce qui, soyons honnête, est un habile prétexte pour enrichir ma collection de portraits.
Les boissons sucrées ne sont pas étrangères - c'est le moins que l'on puisse dire - à la prévalence dramatique du diabète de type 2 en Polynésie.
E fia inu suka… (“elle aime boire du sucre” oui bon mon futunien n'est pas bien élaboré, ça ne fait que 15 jours)
Instant linguistique
“Suka”, futunianisation du “sugar” américain, comme tant d'autres mots : “toketā” pour “doctor”, “fulu” pour “full”, etc… Le futunien ne connait pas les doubles consonnes et les consonnes finales, il ajoute donc une voyelle pour scinder tout ceci… Comme en japonais! La similitude est frappante, je suis persuadé qu'il existe une parenté, ou tout du moins une influence passée. Certains patronymes locaux, et surtout certains visages, confortent cette intuition.
À creuser!
À la fin du repas, des paniers tressés sont déposés devant chaque invité. Ils regorgent de victuailles et tiennent à peine debout, et chacun est invité à les emporter avec lui en partant. Tandis que chacun se demande comment il va faire tenir cela dans le coffre de la voiture (pour les rares qui en possèdent une), un homme armé d'une machette de 60cm de long vient y déposer sans ménagement un morceau de cochon fraichement découpé.
Rapide aller-retour à l'hôpital pour partager nos paniers avec les soignants et les patients. L'occasion de croiser notre Malia nationale, arborant fièrement le maquillage le plus cher de l'île, garanti 100% curcumin (et oui, j'ignorais jusqu'à l'existence de ce truc, bien entendu).
E fulumalie, e kau alofa ia!
Retour à Sigave pour le Tauasu en présence du Saatula, l'homme le plus puissant du royaume de Sigave. L'ambiance est solennelle. Je ne le sais pas encore, mais je suis sur le point d'assister à mes premières danses traditionnelles.