A l’origine du projet il y avait une commande de mon frangin Olivier : une stubby (planche très plate en vogue cette année, inspirée de modèle rétro des années 60, elle a peu de rocker, montée en single avec un aileron très avancé, ,une carène elliptique, ). Au même moment mon pôte le glasseur Chacal reçoit un bonzer des frères Campbell magnifique. Le déclic se fait alors. Les bases étaient posées : oubliée la stubby, ce sera un shape « répliqua » dans l’outline général de la Campbell mais aux côtes adaptées au surfeur (6’2 x 20 3/4 x 2’’3/4). Nous sommes en Mars 2008, l’aventure de la Black Pearl commence.
L’aspect général, les tons, les teintes et les couleurs sont déjà dans ma tête. Cela faisait longtemps que je voulais travailler avec du noir et de l’argenté, l’occasion étant là, ce sera donc, une fois de plus, mon frangin qui servira de cobaye. Le choix des matériaux est lui aussi plus ou moins là. Le bambou est une matière qui m’a toujours intéressé. Le carbone lui est une matière que je connais bien, les kites que je réalise en sont composés ; Par contre des dérives en carbone…
Allé, c’est décidé, cette board sera un concentré d’envies du moment : bambou, carbone, du noir, de l’argent, des jeux de transparences et un shape de Bonzer !
Tout d’abord Chacal et moi relevons de manière minutieuse au 10ème prés le scoop du bonzer (6,4 x 21’ x 2’’3/4). Pour cela nous procédons à un moulage du rocker à l’aide d une baguette d airex préformée sur la
planche. Chacal viendra faire une stratification du profilé en forme d’oméga pour rigidifier le profile. Une fois démoulée, cette baguette d’airex aura donc exactement le rocker du bonzer et me servira de base pour shaper la black pearl. Les autres parties des côtes du bonzer seront relevées de façon plus classique. Ainsi, les côtes des rails seront relever en trois points : Avant, milieux et arrière. Le concave aura droit lui aussi à une prise en trois points en relevant à chaque fois la largeur et la profondeur. Viendra ensuite la prise de mesure du Vee. La prise de l’épaisseur de la planche en elle-même sera elle aussi prise de façon très précise.
Pour la première partie du travail, le décroutage, pas de souci majeur, il reste classique. Peut être que le choix du pain en lui-même m’a demandé une heure de plus que sur un autre pain. En effet il s’est avéré que ce pain, du TBF de chez Viral (pain espagnol), été assez dur donc pas forcement évident à travailler. Peut être convient il mieux à un travail de pré-shape en machine ?
Quoi qu’il en soit, ce pain de fish présentait un rocker de fish avec un peu plus de kicktail, (pour les amateurs voici la référence : pain 6-2C).
Le travail du shape en lui-même doit par contre être le plus minutieux. En effet, tout le secret et la magie du Bonzer repose en très grande partie sur le double concave (le fameux effet Venturi) d’où une attention extrême lors de leurs réalisations. Donc ici pas de place pour l’approximatif ou le feeling mais un travail de fourmi avec une prise de mesures point par point pour garantir la qualité des concaves. Il faut les creuser, en plusieurs profondeurs, comme si, en fait on faisait un autre rocker dans la planche. Si ces derniers sont mal réalisés, ils peuvent tout simplement flinguer littéralement tout l’intérêt du Bonzer.
Le shape du pain étant fini, je m’attaque au bambou. Le principe est simple : faire un deck en bambou. Maintenant la pratique… c’est moins simple : Tout d’abord réaliser une surface entière de bambou égale à la surface du deck en respectant bien sûr l’outline du pain. Le bambou se présente sous 2 feuilles de 40 cm de large et 2m50 de long pour une épaisseur située entre 6 et 8ème. Je met donc à plat mes deux feuilles placées l’une à côté de l’autre et commence la découpe très délicate dans la mesure où ces fameuses feuilles sont constituées de petites lames de 5mm collées les unes aux autres. Patience et minutie seront ici de rigueur mais le résultat est là. Pas de discordance entre les deux feuilles, la jonction des 2 plaques de bambou pile sur la latte est fastidieuse mais là et l’effet visuel est parfait. YES !
Maintenant il me faut coller cette grande feuille de bambou sur le pain de mousse. Croire que la coller simplement serait une idée suicidaire : en effet, la matière du bambou est moyennement malléable. Elle ne pourrait pas épouser de manière parfaite le pain en forme. Et ce n’est pas la mise en place de sacs de sable, même repartis de façon judicieuse qui pourrait faire un miracle. La solution se trouve dans le placage à vide. Je vous explique le principe : Grâce à une mise sous vide, c'est-à-dire la création d’une dépression entourant la pain de mousse et la feuille de bambou, la force exercée par cette dépression va venir appuyer de façon uniforme et parfaite sur l’ensemble de la planche. Le collage lui se fera par époxy.
Ca c’est le principe maintenant la réalisation : Tout d’abord fabriquer une poche étanche aux dimensions de la planche. Mise en place de tissu de verre très fin sur le verso de la feuille de bambou : stratification du bambou sur cette feuille de fibre qui viendra ensuite se plaquer sur le shape de la planche pour créer un sandwich avec 2 tissus de 3 onces. Mise en place rigoureuse de la feuille de bambou sur le pain. Habillage par la poche étanche du pain avec sa feuille de bambou sur le deck. Création de la dépression ou du vide si vous voulez à l’aide d’une pompe à vide. Et là on laisse tranquille pendant 12 heures. Cette méthode qui a pour but de plaquer de façon parfaite le bambou me permet aussi de limiter au strict nécessaire la quantité de résine et donc de gagner en poids. Une fois le temps de séchage passé il ne me reste plus qu’a poncer l’excédent de résine qui passe à travers le bambou (le bois n’étant pas étanche au vide).
Le reste sera beaucoup plus classique avec le masquage de toute la face bambou pour ensuite permettre la résine teintée. Le temps de séchage de la résine avant le cut lap sera de 45mn. Le cut lap sera très délicat dans la mesure où par définition le noir est très difficile à voir lors de cette étape. Et c’est le frangin, Olivier, qui se le tapera. Y’a pas de raison ! Je reviens deux secondes à l’étape du shape pour préciser qu’une résine teintée ne laisse aucune place à l’imprécision sinon ça se voit de suite! Puis vient le temps de la stratification, elle est classique avec pose des logos. Une fois la strate finie je pose classiquement le boîtier de la dérive centrale, un boîtier US.
Et là, je fais un truc qui pourrait me faire passer pour un fou si l’on ne connaît pas mes raisons : je découpe très précisément la planche aux deux bords externes du tail ! Je m’explique, j’avais envie de jouer, comme je le fais déjà depuis un petit moment, sur les effets de transparences. J’ai donc réalisé deux tails blocks avec un assemblage de résines teintées et de bois. Assemblage difficile d’ailleurs dans la mesure où il est toujours fastidieux d’assembler par collage deux matières de natures différentes. Vous remarquerez sur mes photos que la dernière partie des tails blocks est en bois. Cela dans un souci simple mais réel de solidité. La résine étant trop fragile pour un tel emplacement. Il me suffit alors de venir coller les deux tails blocks sur la planche pour ajuster au mieux puis poncer afin d’harmoniser parfaitement l’assemblage. Etape délicate à finir à la main sans abîmer le travail déjà fait.
Mais le casse tête n’est pas fini. Pourquoi faire simple ? A force de travailler le carbone pour la réalisation de kite, j’avais en tête depuis un petit moment la création d’ailerons en carbone. J’avais là enfin la possibilité de réaliser mon souhait. Et pour que ce ne soit pas trop facile à faire j’ai décidé de fabriquer des ailerons avec une face en carbone et une autre en bambou. Pour cela j’ai donc shapé dans un premier temps une lame en mousse qui sera grosso modo l’ossature de l’aileron. Puis j’ai collé sous vide la face bambou puis dans un deuxième temps la face carbone. En effet, le carbone avait lui aussi besoin d’être sous vide pour bien prendre la forme de l’aileron à l’extérieure. J’ai ensuite évidé les ailerons pour insérer les trois ronds de résine. Là ce n’est qu’un résumé des 5 heures de galères multiples !
Avant la mise en place des ailerons, il me restait le lustre sur lequel j’ai passé un temps de dingue ne voulant lâcher l’affaire qu’une fois ma satisfaction atteinte.
Puis je n’ai plus eu qu’a effectuer un fraisage directement sur la planche pour coller les ailerons dans la mousse directement dans la rainure fraisée. Et non, pas de glass. Je sais que certains sont septiques sur cette manière de faire mais elle a fait ses preuves et j’en suis très content et n’ais rencontré à ce jour aucun souci.
En gros, la Black Pearl m’a pris 50 heures de travail avec la prise de cotes de la campbell. Elle est un concentré de désirs de matériaux et de jeux de transparences que j’avais en tête depuis un bon moment et d’inspirations dans l’instant. . La minutie avec la quelle je l’ai réalisé démontre une fois de plus la quête de perfection des shapers mais cette perfection reste inatteignable et il y aura toujours des choses à redire…
En résumé la black pearl est une sorte de "concept board" où l’on aura mis tout un savoir faire, un Model ultime tout options. (Pour le moment)
Propos recueillis par Surfrepotes
Photos de Kim Kamikaze aimablement publiées avec son autorisation
Mise en forme Surfrepotes